CHE GUEVARA : DU MYTHE À LA RÉALITÉ

  Par Thierry Foucart De nombreuses personnalités reprochent à Anne Hidalgo, maire de Paris, d’avoir financé sur des fonds publics une exposition à la gloire de Guevara qu’elles considèrent comme un révolutionnaire sanguinaire. La réponse d’Anne Hidalgo est qu’objectivement, il y a un mythe Guevara, qu’il est une « icône militante et romantique », et que le sujet de l’exposition n’est que ce mythe, pas son action politique et militaire. Avant de me faire une opinion, je suis allé voir cette exposition installée à l’intérieur de la mairie de Paris. L’exposition débute par un texte d’introduction dont voici quelques extraits : « L’exposition ‘ Le Che à Paris ’ nous est présentée par l’association Pachamama (‘La terre-mère des Incas ’) […]. Pachamama explore ici en effet plusieurs facettes du Che : le lecteur insatiable, le sportif, le voyageur, le guérillero, le marxiste aspirant à voir émerger l’homme nouveau, le médecin phytothérapeute…Mais aussi le poète et l’amateur d’art, qui chaque fois qu’il passait à Paris, se rendait au Louvre pour se figer devant le tableau de Jérôme Bosch La nef des fous. Ce tableau est d’ailleurs au cœur de la réflexion des artistes peintres et sculpteurs réunis pour cette exposition. » J’ai beaucoup aimé les tableaux racontant l’histoire de la conquête de l’Amérique du sud par les Conquistadors. Leur naïveté apparente rend encore plus cruelle cette conquête parsemée d’atrocités. Ils sont accompagnés de commentaires et d’explications de témoins de l’époque (traduites en français) : Christophe Colomb, Amerigo Vespucci, Las Casas, de nombreux évêques etc. L’exposition ne précise pas le rapport entre cette conquête et l’idéologie marxiste et l’activité militante de Guevara en Amérique du sud et en Afrique noire. Plusieurs erreurs de géographie et de dates, l’absence de références précises ont été notées par des visiteurs mais n’ont pas d’impact sur la qualité des dessins. Elles témoignent d’un certain amateurisme pardonnable pour une exposition organisée par une association de bénévoles aux moyens certainement modestes. Le second volet de l’exposition est consacré aux voyages et échanges du Che avec les populations amérindiennes. De nombreuses photos et dessins mettent en valeur son humanité, l’intérêt qu’il porte aux gens simples, son action humanitaire, les soins médicaux qu’il prodigue. Tout ce qu’on apprend de la vie de Guevara dans l’exposition est positif : il étudie, lit beaucoup, souffre de son asthme, soigne des malades et des blessés, invente une machine à couper la canne à sucre, risque sa vie dans des actions militaires audacieuses, sauve des naufragés et des camarades de combat… Les photos et les commentaires sur sa vie sont toujours flatteurs. Même si la véracité des événements n’est pas toujours assurée par manque de référence, Guevara sort apparemment grandi de cette exposition de toute évidence hagiographique. Il est évident que le mythe existe. À Cuba, où je suis allé récemment, le portrait du Che est quasiment partout. Il y semble même plus populaire que Fidel Castro. Plusieurs chansons diffusées dans le monde entier racontent sa vie en le glorifiant (Joan Baez), avec parfois des montages (John Lennon et Guevara). Plusieurs films américains et français s’inspirent de sa vie. On lui a consacré de nombreux livres, de nombreux articles et son nom est connu de tous. Par son physique avantageux, sa vie aventureuse, ses actions humanitaires, ses idées marxistes, sa mort au combat, il était un personnage idéal pour devenir « une icône militante et romantique » des communistes et de leurs compagnons de route. Le Che est mort en 1967, pendant la guerre du Vietnam et la guerre froide. À cette époque, un grand nombre d’intellectuels se sont séparés des partis communistes, à la suite du discours de Khrouchtchev dénonçant les horreurs du stalinisme, de l’invasion par l’URSS de la Hongrie en 1956 et de la Tchécoslovaquie en 1968. « L’icône militante et romantique » a servi finalement à des fins de propagande, à conserver autant que possible l’influence qu’avait le communisme sur la jeunesse et beaucoup d’intellectuels des pays occidentaux. Régis Debray, compagnon du Che jusqu’à sa mort, est l’exemple de l’intellectuel victime de cette influence, dénoncée plus tôt par Raymond Aron dans L’opium des intellectuels (Calmann-Lévy, 1955). Mais l’envers du mythe est maintenant largement connu : Che Guevara était un stalinien pur et dur avant de devenir maoïste. Il admettait le régime de la terreur imposé par les bolcheviques en URSS à partir de 1917 et par Mao Tsé Toung au moment du Grand Bond en avant. L’historien Pierre Rigoulot dénonce dans Le livre noir du communisme (dir. Stéphane Courtois, Robert Laffont, 1997) des crimes et tortures dont Guevara, directeur d’un « camp de travail correctif » qu’il a créé puis procureur de la prison de La Cabaña à La Havane, a été l’auteur, avec Raùl Castro. Selon le site d’histoire Hérodote.net, « les exécutions sommaires et la torture ont fait des dizaines de milliers de victimes ». Amnesty international affirme l’existence de prisonniers politiques, avérée aussi par la libération de certains d’entre eux lors de visites officielles. Le résultat final de cette politique stalinienne, à laquelle le Che a largement contribué en tant que ministre de l’industrie et directeur de la Banque centrale, est qu’« en moins d’un demi-siècle, un Cubain sur huit choisit donc de quitter l’île et de tourner le dos à la Révolution castriste » (Dumont G.-F., Population & Avenir, 2015/5, n° 725). Pour Pierre Rigoulot, Che Guevara était « le symbole de la radicalité révolutionnaire voire du communisme international ». Il y a un autre symbole : c’est Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos, condamné pour assassinats à la prison à perpétuité en France et dont le parcours ressemble à celui de Guevara. On est loin de « l’icône militante et romantique », et proche de la réalité terroriste. La résistance au temps de ce mythe n’est pas surprenante. Elle s’inscrit dans la persistance de l’idéologie marxiste dans certaines démocraties occidentales, et se manifeste en France en particulier par une grande indulgence à l’égard de l’idéologie marxiste et du parti communiste considéré malgré son passé comme un parti démocratique. On a même oublié le soutien du PCF au pacte germano-soviétique, l’invasion simultanée de la Pologne par l’URSS et l’Allemagne nazie en 1939 ! Lors de l’élection présidentielle de 2012, on a chanté l’Internationale pendant des meetings de Jean-Luc Mélenchon, et agité des drapeaux rouges. Pour la France Insoumise, Hugo Chavez et son successeur Nicolas Maduro sont des héros révolutionnaires, de même que Fidel Castro pour Ségolène Royal. Pour le parti socialiste français, c’est la lutte des classes qui a permis les progrès sociaux et la redistribution des richesses et la démocratie sociale sont nécessaires pour atteindre l’égalité réelle, objectif ultime de la société. Plus de la moitié des Français (socialistes, communistes, insoumis, et même centristes) sont encore, à des degrés divers, sous l’influence de l’idéologie marxiste. Les Français n’ont donc pas tous fait le deuil de l’illusion communiste (Le passé d’une illusion, François Furet, Calmann-Lévy, 1995). Ils ne sont pas encore complètement sortis du fantasme infantile d’une société totalitaire répondant à tous leurs besoins individuels. L’idée d’un « homme nouveau », chère au Che, est toujours présente dans l’idéologie socialiste, et les ministres socialistes de l’Éducation nationale cherchent explicitement à « transformer les mentalités » pour former la jeunesse à leurs idées. L’exposition sur Guevara a visiblement le même objectif. Mais on ne peut séparer le mythe des mensonges sur lesquels il est construit, au détriment de la vérité historique reconnue et incontestable. La question qui se pose est celle de la position d’Anne Hidalgo devant ce dilemme : mythe ou réalité. En ouvrant un local à l’intérieur de la mairie de Paris pour cette exposition idéologiquement engagée, Anne Hidalgo prend parti en faveur du mythe Guevara et de l’illusion communiste. L’entorse à la neutralité ne mérite toutefois pas le bruit qu’on fait autour de cette petite exposition qui mérite d’être vue si elle est corrigée par un œil critique.



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