Retraites : une autre réforme est possible
L'indispensable réforme des retraites
La part des retraites dans le PIB a atteint 14,8 % en 2019, contre une moyenne de 12,4% dans l’Union européenne. En euros, cela représente un écart de 60 milliards d’euros. Avec un budget annuel de plus de 340 milliards d’euros, les retraites représentent un quart des dépenses publiques du pays. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites anticipe un déficit de l’ordre de 20 milliards € en 2030. La réforme des retraites paraît plus que jamais d’actualité. Ces éléments objectifs ne suffisent pas à faire consensus. Aujourd’hui, on entend de nombreux acteurs de la vie publique, hommes politiques, syndicalistes, remettre en cause ces chiffres et expliquer que le système est équilibré, qu’il n'y a pas lieu de mener une réforme, notamment par le recul de l'âge de départ à la retraite.
Pourtant on ne compte plus les structures censées évaluer la solidité du système de retraite : Conseil d’orientation des retraites, Comité de suivi des retraites, France Stratégie, sans compter les rapports des commissions parlementaires, de la Cour des comptes, les rapports de gestion des différentes caisses…
Où se trouve la présentation consolidée de notre système de retraites ?
Il faut interroger le travail du COR qui, avec ses conventions, ses différentes hypothèses de croissance, des chiffres rarement publiés en Mds €, mais plutôt en % de PIB, ne permet pas d’y voir clair. Pourquoi cet organisme ne publie-t-il pas de tableau de synthèse consolidé retraçant, régime par régime, les recettes, les dépenses, et le solde ?
Il n’y a pas de transparence non plus sur les déficits des régimes de retraite, et notamment celui de la fonction publique et de l’impact sur la dette sociale. Le constat actuel sur le solde de notre système de retraite est trompeur, car basé uniquement sur les déficits qui ne sont pas couverts par des transferts de l’État, en clair ceux des régimes du privé. Les déficits des régimes de retraite de l’État et des autres collectivités publiques ne sont jamais diffusés par le COR. Pourtant, il est possible de les calculer : c’est 30 milliards €. Comment convaincre de l’importance et de l’urgence d’une réforme si le déficit est enfoui dans les charges générales budgétaires ?
Remettre à plat les régimes de retraite de la fonction publique
Poser cette question c’est aussi faire la transparence sur le fonctionnement des régimes de retraite des agents publics : on entend souvent que les réformes aidant, les retraites du public ou du privé sont comparables. Oui, il y a eu un mouvement de convergence, principalement depuis la réforme de 2003 (alignement des règles de durée d’assurance) et celle de 2010 (alignement du taux de cotisation salarial). Pour autant, il reste du travail : l’âge moyen reste encore inférieur au privé, surtout dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Une des raisons tient au poids des catégories actives de la fonction publique (23 000 départs en 2021 soit 18% des départs, toutes fonctions publiques confondues).
Les taux de cotisation employeur sont quant à eux exorbitants du droit commun, 74% dans la fonction publique d’État (FPE) et 30% dans la fonction publique territoriale (FPT) et la fonction publique hospitalière (FPH) contre 16% dans le privé. Une conséquence directe de ces cotisations est de majorer pour l’État le coût total d’un fonctionnaire qui s’élève à 70 000 € par an pour 34 000 € de rémunération d’activité. Ce qui alourdit les missions budgétaires de l’État d’un surcoût sans relation avec la qualité du service rendu. La part des retraites représente par exemple 27 % des crédits totaux alloués à l’Éducation nationale en 2020.
La retraite reste calculée selon des méthodes très différentes entre public et privé. Le salaire de référence est celui des six derniers mois dans la fonction publique au lieu des 25 meilleures années (retraite de base) et de toute la carrière (retraite complémentaire) dans le secteur privé. Le taux plein appliqué à ce salaire de référence est de 75 % dans la fonction publique et de 50 % dans le régime général des salariés du secteur privé (retraite de base). Mais pour les salariés du privé s’y ajoutent les retraites complémentaires (Arrco-Agirc). Et l’assiette de cotisation diffère : les primes ne sont pas soumises à cotisation pour le financement du régime par répartition des fonctionnaires contrairement au privé. Cela représente 23 % de la rémunération moyenne des fonctionnaires1.
En 2018, la Fondation IFRAP a effectué une microsimulation du mode de calcul du privé sur des carrières d’agents de la fonction publique. Nous sommes parvenus aux résultats suivants : l’application des règles du privé présente un différentiel de pension (moindre pension) de -21 % en moyenne sur les 3 générations étudiées. La direction statistique du ministère des Affaires sociales reconnaît que pour bénéficier d’une retraite quasi équivalente au privé, les fonctionnaires devraient s’acquitter d’environ un quart de cotisations salariales supplémentaires sur l’ensemble de leur carrière. Ce surcroît de cotisations augmentant avec la part de primes. C’est un élément majeur qui fait toute la différence entre les retraites de la fonction publique et celles du privé.
D’autres différences existent entre ces régimes : on peut citer les majorations pour 3 enfants, la réversion sans condition d'âge ni de condition de ressources dans le public. Il reste encore beaucoup à faire en matière d’équité des régimes de retraite. Et réformer les retraites du secteur public c’est poser la question du statut public.
Dire la vérité aux retraités sur leurs revenus futurs
Le retour de l’inflation et le débat sur la réindexation des retraites ont remis en lumière la question du pouvoir d’achat des retraités. Les Français ne se rendent pas toujours compte qu'en partant tôt, ils perdent en niveau de pension, ce qui sera leur revenu pendant 25 ans ou plus. Malgré les gestes entrepris pour restaurer la confiance avec les retraités, leur ressenti est celui d’une stagnation de leurs revenus par rapport à ceux des actifs. Et ils ont raison ! Il existe deux moyens d’en juger : par l’évolution du pouvoir d’achat et par le niveau de vie. Le Cor a montré à travers l’étude de cas-types que la perte de pouvoir d’achat est réelle, particulièrement pour les cadres.
Avec une croissance des salaires réels de 1,5 % par an, le pouvoir d’achat relatif du retraité enregistre un recul cumulé de 14 % au bout de 10 ans de retraite, de 26 % au bout de vingt années, de 36 % s’il survit jusqu’à sa quatre-vingt-dixième année... Si, parmi les réformes entreprises pour sauver notre système de retraite, le report de l’âge est la mesure la plus visible et celle qui cristallise le plus la contestation, c’est pourtant la réforme Balladur de 1993 qui a eu le plus d’effet. Celle-ci a modifié les paramètres du régime général en indexant sur les prix, et non plus sur les salaires, les droits portés au compte et l’indexation des pensions. Elle a aussi augmenté de 10 à 25 ans les années retenues pour le calcul de la retraite. Sans cette réforme, les pensions étaient projetées atteindre 20% du PIB en 2040. Les effets de la réforme de 1993 ont été amplifiés par une série d’accords de 2011, 2013 et 2015 de l’AGIRC-ARRCO (sous indexation, revalorisation du prix d’achat de point, …) qui ont également eu un effet significatif sur la baisse des dépenses de pension.
Cette baisse tendancielle du niveau des pensions est l'équivalent d'une réforme des retraites silencieuse. C’est grâce à cela que les dépenses de retraite dans le PIB devraient baisser quelque part entre 11,3 % et 13 % en 2070. Le niveau réel des pensions ne va pas baisser, mais leur niveau relatif par rapport aux revenus d'activité est appelé à décrocher significativement : la pension moyenne qui représente plus de la moitié de la rémunération brute par tête aujourd'hui, n'en représenterait plus que 32 à 36 % à l’horizon 2070.
Si la comparaison internationale du niveau de vie des seniors rapporté à celui de l'ensemble de la population est en faveur de la France, il faut bien comprendre que le niveau de vie moyen des retraités rapporté à celui de l’ensemble de la population s’établirait entre 88 et 92% en 2040 et entre 75 et 83% en 2070, alors qu’il est proche de 103% aujourd’hui. Cet indicateur retrouverait des valeurs comparables à celles des années 1980, mais ne serait pas sans conséquence, notamment pour les retraités de plus de 75 ans qui voient leurs charges augmenter, sous le poids de la dépendance.
Alors, oui, il faut reporter l’âge légal de départ à la retraite
Le pilotage de notre système de retraite en répartition ne peut reposer que sur trois composantes : le taux de prélèvement, le taux de remplacement (pension moyenne/revenu moyen d’activité) et le ratio démographique. Concernant le taux de remplacement, les réformes ont déjà entrainé de puissants effets. Le taux de prélèvement global inclue déjà d’autres impôts et taxes affectées au financement du système de retraite, en plus des cotisations spécifiques à l’assurance vieillesse. En cette période de défense du pouvoir d’achat, cela ne semble pas être un bon levier. De plus la France se situe à 27% de taux de cotisation retraite (salarial et employeur) en % du salaire brut. Un niveau largement supérieur à l’Allemagne, aux Etats-Unis ou au Japon. Elle ne peut sans mettre en péril sa compétitivité augmenter encore plus les taux de cotisation retraite. Le ratio démographique se dégrade sous l’effet du vieillissement de la population. Seul un report de l’âge est à même de redresser la situation.
Repousser l’âge de la retraite entraine mécaniquement une plus grande part de la population en activité, ce qui améliore le ratio démographique. Dans sa présentation la Première Ministre a bien insisté sur le caractère juste de la réforme qui mixe allongement de la durée de cotisation et report de l’âge. Augmenter la durée de cotisation est mieux accepté par l'opinion qu'un recul de l'âge qui est un paramètre ultra-symbolique. Mais l’allongement de la durée de cotisation n’a pas le même effet que le report de l’âge sur le rétablissement financier de notre système de retraite (l’allongement de la durée de cotisation d’ici 2027 améliore le solde du système de retraite de 2,9 Mds € à l’horizon 2030, tandis que le report de l’âge légal à 65 ans permet 17,6 Mds € d’économies). Et il ne faut pas oublier les éventuelles difficultés d’insertion en début de carrière. Une insertion plus difficile sur le marché du travail signifie moins de trimestres : les assurés de la génération 1950 avaient validé en moyenne 43 trimestres avant leurs 30 ans, contre 31 pour ceux de 1978 (Rapport Moreau).
D'un point de vue concret, reculer l'âge de la retraite permet de garder des expertises, cela permet d'envoyer un signal aux actifs qu'ils sont utiles et doivent se préparer à travailler plus longtemps. C’est ce qu’on appelle l’effet horizon : une conséquence directe entre la législation des retraites et les caractéristiques du marché du travail. La période actuelle pourrait justement être propice à un tel changement : en effet, le rythme de croissance de la population active a fortement ralenti, passant de +110 000 personnes par an entre 2011 et 2016 puis +70 000 personnes par an entre 2016 et 2021. De plus, les tensions actuelles sur le marché du travail pourraient renforcer l’intérêt pour les employeurs d’un maintien dans l’emploi.
Le report de l’âge légal en 2010 de 60 à 62 ans au rythme de quatre mois par an constitue une utile référence : le marché du travail pour les seniors s’est amélioré. Le taux d’activité des 55-64 ans est passé de 41% à 59,7% en 2021. Pour améliorer encore les choses, il faut reconsidérer les différents dispositifs de départs anticipés avant l’âge légal qui s’accumulent : on ne peut pas vouloir tout faire pour augmenter le taux d’emploi des seniors et multiplier les dispositifs dérogatoires. Carrières longues, catégories actives, inaptitude, invalidité, pénibilité : il faut un meilleur suivi et surtout accroître l'effort de formation en 2e partie de carrière pour que l'offre de travail soit plus en adéquation avec les attentes des entreprises et des salariés. En pratique pourtant, on constate que le recours à la formation professionnelle décroît avec l’âge. L’autre sujet c’est de revoir les règles de l’Unédic destinées à protéger des salariés dont on sait qu’ils auront un retour à l’activité plus difficile. Toutefois, il convient de ne pas transformer l’assurance-chômage en système de pré-retraite. Cette facilité est d’autant plus tentante que les syndicats sont pressés par les salariés les plus âgés, souvent les plus syndiqués dans l’entreprise. Ajoutons que la gestion des âges permet aussi celle de la masse salariale : le départ d’un senior, s’il est compensé, le sera par l’embauche d’un jeune, moins bien payé. Il faut favoriser le cumul emploi retraite en se penchant sur toutes les conditions qui découragent les salariés et les employeurs d'y avoir recours.
Il faut introduire une dose de capitalisation
Il s’agit de renforcer notre système de retraite en veillant à ce qu’il contribue au développement économique de notre pays. Ce serait aussi une mesure d’équité puisque déjà des régimes par capitalisation obligatoire ont été mis en place : pharmaciens, fonctionnaires, Banque de France, sénateurs, etc. Mettre en place un système par capitalisation aurait aussi l’avantage d’assurer notre souveraineté en finançant notre dette et nos actifs, plutôt que de laisser des investisseurs étrangers le faire. Enfin, ce serait un moyen de mobiliser des fonds pour investir dans la transition énergétique et environnementale et ainsi d’associer les jeunes très sensibles à cette question au fur et à mesure de la constitution de leur épargne.
Aujourd’hui des systèmes de retraite supplémentaire existent : On y trouve à la fois des dispositifs à adhésion individuelle ou collective. Un certain nombre de lois ont jalonné le développement de cette épargne retraite : de la loi de 2003 qui crée les premiers dispositifs d’épargne retraite universel jusqu’à, plus récemment, la loi Pacte qui a harmonisé les différentes catégories de plans d’épargne retraite. Il demeure que les règles juridiques et la fiscalité applicable restent très spécifiques selon les produits.
Que ce soit l’assurance retraite ou les fonds de pension, la France est loin derrière la moyenne OCDE ou les grands pays industrialisés en matière de retraite par capitalisation. Le montant des actifs sur des plans d’épargne retraite représente en France 12,2% du PIB en 2019 contre 99% pour la moyenne OCDE, et même 167% pour la Suisse, 109% pour la Suède.
La difficulté pour les salariés du privé est que le taux de cotisation retraite est déjà très élevé. Il est donc impossible d’ajouter une cotisation supplémentaire au profit d’une retraite par capitalisation. La seule solution est d’affecter une partie des cotisations actuelles.
Les chiffrages montrent l’impact d’un financement par capitalisation sur le niveau de retraite eu égard au dernier salaire : plus 4 points de niveau de remplacement pour une cotisation de 2% par an. Et plus de 5 points pour un cadre et 6 points pour un non-cadre en passant la cotisation à 5% du salaire. Dans le cadre d’une réforme des retraites à venir, la priorité nous semble de développer l’épargne retraite collective. Plusieurs éléments militent dans ce sens : Une épargne retraite mise en place par accord collectif permet d’amorcer la constitution d’un capital y compris pour les salariés qui ont des salaires modestes, cela peut constituer un argument en faveur du recrutement ou de la fidélisation des salariés de l’entreprise.
Conclusion
La France est au pied du mur pour faire les réformes. Depuis le livre blanc de Michel Rocard - de quoi faire sauter plusieurs gouvernements disait-on – jusqu’au dernier rapport du COR, la France a toujours réformé ses régimes de retraites sous la pression des déficits. Qu’est ce qui fait que la réforme est aujourd’hui incontournable ? C’est la fin de l’argent magique. Les réformes trop longtemps repoussées deviennent indispensables. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sur la charge de la dette atteignent près de 3%. La charge de la dette atteint 46 Mds €, c’est la moitié de l’impôt sur le revenu. La réforme des retraites est indispensable pour redresser la trajectoire budgétaire. Les ajustements trop longtemps reportés sont nécessaires. Plus que jamais, il est important de rester dans une logique d’assurance sociale et de ne pas amplifier les dépenses de solidarité de notre système de retraite, en raison de l’échec des autres politiques publiques : éducation, formation, chômage, santé… C’est légitime de vouloir corriger les inégalités face à la retraite mais mieux vaut corriger cela avant, tout au long de la carrière.
1 Jusqu’à 2005 et la création du régime additionnel de la fonction publique, retraite obligatoire supplémentaire en capitalisation qui permet aux fonctionnaires de cotiser sur leurs primes.
Sandrine Gorreri iFRAP
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