Reprise de la croissance : la politique économique comme mouche du coche

Reprise de la croissance : la politique économique comme mouche du coche

Reprise de la croissance : la politique économique comme mouche du coche

Emmanuel Macron est un traître, c’est du moins ce disait Edouard Philippe en janvier 2017 en le comparant au Macron de l’Antiquité qui assassina l’empereur Tibère. Etre un traitre en politique n’est pas original. Et ce qu'il y a de positif dans le traître c'est que, quelque part, il se sent en position de devoir réparer la faute morale sur laquelle s’est appuyée son ascension. Pour réparer cette faute, Macron devait en toute priorité réduire la dépense publique, car cela répondait à deux objectifs : le premier est de préparer l'avenir, c'est-à-dire de se mettre en capacité d’affronter le retournement cyclique ; le second est de satisfaire à nos engagements européens. Or, malgré ses engagements, il n’a rien fait. La seule chose qu'il ait faite dans le domaine de la gestion de l’Etat est de nous donner le droit à l'erreur, c'est-à-dire de constater que notre législation est tellement compliquée que personne ne la comprend.

Pourquoi en est-on arrivé là ? Quelle est la légitimité de la montée en puissance systématique des interventions étatiques qu’Emmanuel Macron n’a pas sérieusement remises en question ?

A l'époque de Bastiat, l'économiste de référence est Jean-Baptiste Say. Il fait partie des personnes à l'origine de la création de l’École Spéciale de Commerce et d'Industrie, qui devint l'ESCP (École supérieure de commerce de Paris) où j’enseigne. L’idée qui guidait Say est que la seule chose que l’État puisse faire pour améliorer la situation économique est de former directement ou indirectement des managers, donc de faire en sorte que des gens aient la conviction que créer une entreprise n'est pas inaccessible. Dans son Traité d'économie politique, il écrit : « Il est presque impossible qu’un gouvernement puisse, je ne dis pas se mêler utilement de l’industrie, mais éviter, quand il s’en mêle, de lui faire du mal. » (Traité d'économie politique, Livre I, Chap. XVII, « Des effets des règlements de l’administration qui ont pour objet d’influer sur la production. », 1841). Un peu plus loin, il dit que l’État peut, pour des raisons qui lui échappent, résoudre certains problèmes et pousser à une dynamique économique qu'il n'avait pas anticipée. Il prend l'exemple de la crise de 1811, où les habitants de Lyon vinrent se plaindre à l'Empereur de la concurrence déloyale des Florentins et, selon Jean-Baptiste Say, l'Empereur eut sans le savoir et sans le vouloir la bonne réponse, en disant qu'il n'allait pas chercher à protéger Lyon, préfecture du département du Rhône, contre Florence, préfecture du département de l'Arno. En tant que préfectures de deux départements français, les deux villes devaient être traitées de la même façon. La capacité à gérer et à traiter des territoires de la même façon s'appelle le libre-échange, et pour que cela arrive, l’État ne doit rien faire.

A la même époque en Prusse, Frédéric Ancillon, dans ses Essais de philosophie, de politique et de littérature (1832), envisage trois façons de concevoir l'économie : la physiocratie, la ponocratie et le chrysohédomisme. Pour la physiocratie, l'origine de la croissance économique réside dans la capacité de l'humanité à gérer la nature et singulièrement l'énergie (en l'occurrence, pour les physiocrates du XVIIIe siècle, c'est le Soleil. L'agriculture est le soleil de demain et le charbon le soleil d'hier). Une fois qu'on a géré la nature, on s'aperçoit qu'elle est rétive, en particulier que ses rendements sont décroissants. Pour y remédier, il faut travailler. Il y a donc une autre approche, dite « ponocratique » (« ponos » signifie « travail fatigant », en grec). Pour la ponocratie, la richesse vient du travail. Ancillon constate que le XVIIIe siècle était physiocratique tandis que le XIXe siècle devient ponocratique. En revanche, une erreur a été commise au XVIIe siècle, c’est d’adopter le « chrysohédonisme », c’est-à-dire l’idée que c'est la quantité de monnaie en circulation qui fixe la richesse. Or le XXe siècle a renouvelé l’erreur chrysohédoniste et nous la subissons encore.

Le chrysohédonisme du XXe siècle a reposé sur l’idée que l’État peut et doit garantir le plein emploi. Ce qui a assuré à l’État son pouvoir sur l'économie au XXe siècle, c'est d'abord d'avoir militarisé la société, c'est-à-dire de l'avoir organisée autour de la guerre. Après 14-18, l’Etat a gardé sa prééminence économique mais l’a fondée non plus sur sa capacité à assurer la sécurité nationale mais sur celle à garantir le plein emploi.

Toute la construction intellectuelle économique du XXe siècle, née des idées de Keynes, tend à prétendre que l’objectif de la politique économique est le plein emploi et que l’Etat a un outil pour y parvenir : la politique budgétaire. La légitimité de l'impôt cesse d'être la sécurité publique mais le confort matériel. Trygve Haavelmo, prix Nobel d'économie en 1989, explique que la dépense publique génère plus de croissance que la dépense privée. Il y aurait une sorte de force intrinsèque dans la dépense publique qui fait qu'elle est porteuse de croissance économique. En 1946, Alvin Hansen, l’auteur du modèle IS/LM, publie un livre appelé Economic Policy and Full Employment dans lequel il explique que grâce à la politique budgétaire, l’État peut générer le plein emploi.

Donc au milieu du XXe siècle il est admis que l’État est le garant du plein emploi et qu’il dispose pour cela de deux comportements économiques possibles: le premier est la façon communiste, c'est-à-dire qu'il produit lui-même, et le second est la façon démocratique voire social-démocratique qui consiste à augmenter la dépense publique pour générer davantage de demande. Toutes les politiques qui se mettent en place dans les années 1950-1960 sont fondées sur cette idée que l’État a une sorte de légitimité économique forte qui tient à ce qu’il assure le plein emploi. Prenons par exemple le cas de François Perroux. Cet économiste connu et reconnu réagit à la prise de pouvoir par les communistes en Tchécoslovaquie en 1948 en annonçant qu'en 1968 les Tchèques et les Slovaques seront certes dans un régime autoritaire et sans libertés mais qu'ils seront les habitants les plus riches du monde. Pour lui, l’État dans sa forme communiste impose à sa population une sorte de pacte qui consiste à la priver de liberté mais à lui assurer un confort matériel considérable. Or ce qu’a montré l’histoire, c’est que ce pacte est illusoire.

L’échec de l’État en tant que source de croissance est désormais patent. Cet échec a mis du temps à être compris. En 1974, lors de ses vœux à la presse économique comme ministre de l’Économie, Valéry Giscard d'Estaing est interpelé par Jean Boissonnat sur l'inquiétude des Français après le choc pétrolier de 1973. Il répond que les Français ne doivent pas s'inquiéter car dit-il, « le gouvernement a la volonté et les moyens de garantir le plein emploi ». Il faut préciser qu'il était considéré comme le ministre le plus libéral de l'époque. Autre exemple : on continue de nous expliquer que la récession de 2008-2009 est due aux banquiers et que le redressement est dû à l'intervention énergique des États pour nous sortir de cette situation. La période récente où en France il y a eu le plus de croissance, donc où l’État aurait été le plus efficace, c'est 2015-2017. Période où François Hollande était président. Il est quand même difficile de lui associer les notions d'efficacité et d'intelligence en matière économique !

En fait, l’économie ne s’explique pas par un combat entre la volonté bienveillante des dirigeants politiques et des gouvernements nous apportant croissance et disparition du chômage et l’action pernicieuse de « monstres » cupides- les banques, la finance, le marché etc.

Dans tous les pays libres où l’on enseigne l’économie, ce qui n’est qu’accessoirement le cas de la France, cet enseignement repose sur le livre de Nicolas Gregory Mankiw, Les principes de l'économie. Son livre débute par l’énoncé des dix règles sur lesquelles l’économie se fonde. En voici deux :

  • Principe 7 : l'action de l’État peut être utile dans certaines circonstances.

  • Principe 10 : à court terme, il existe un arbitrage entre inflation et chômage.

Subsiste dans l'inconscient collectif des économistes l’espoir que quelque part, ce qu'il reste à l’État, c'est de faire une sorte de sacrifice sur l'épargne au travers de l'inflation qui permet de réduire le chômage. Il y a encore une capacité à générer le plein emploi en acceptant ou en organisant d'une certaine façon une dynamique d'inflation.

Mais l’histoire ne cesse de démentir cette illusion. Regardons le cas de la France depuis 1950. La croissance tendancielle, soit la capacité à générer de la richesse, baisse. Deux interprétations sont possibles : la croissance se mesure par un taux appliqué à une base. Or, la base a augmenté, si bien que le même apport de richesse paraît en pourcentage moins élevé. Autre explication, plus fondamentale : la croissance, c'est de la productivité issue du progrès technique. D'où la question : est-ce que la baisse constatée de la croissance traduit une baisse de l'inventivité humaine ? Certaines personnes défendent l'idée qu'il y a effectivement stagnation séculaire, que l'humanité ne peut plus être aussi imaginative que pendant les deux derniers siècles. Même si cette hypothèse se révèle trop pessimiste, on peut se heurter au fait que l’inventivité humaine peut se révéler vaine sur le plan économique. Autrement dit, est-ce que les découvertes scientifiques d’aujourd’hui répondent aux besoins de la population ? Le véritable enjeu est de savoir si nous sommes dans une société d'invention ou une société d'innovation, l’innovation décrivant les inventions qui améliorent concrètement la vie des populations. Je pense que nous sommes dans une société d'innovation et donc il n’y a pas à s’inquiéter d’une éventuelle stagnation séculaire, même si le débat n’est pas définitivement tranché. Mais il faut laisser cette innovation s'exprimer. La pire chose que puisse faire l’Etat est de vouloir être lui-même innovant. Les dépenses publiques annoncées pompeusement comme des « dépenses d'avenir » n’ont bien souvent comme unique résultat qu’un accroissement de la dette publique

On peut aussi constater qu’outre le ralentissement de la croissance de long terme, la France travers des périodes de récession (1975, 1993 et 2008). C’est-à-dire que l’économie est cyclique. En 1975, la réaction était plutôt de ne pas s'inquiéter, car l’État allait amortir le cycle. En 2008-2009, de manière plus dramatique, on annonçait la fin du capitalisme. On a du mal à se faire à l'idée que l'économie est cyclique. Est-ce que ce cycle est exogène ou endogène ? Est-ce qu'il est lié au fonctionnement naturel de l'économie ou est-ce qu'il traduit des événements extérieurs, notamment des décisions prises par tel ou tel gouvernement ? Encore une fois, est-ce que la reprise amorcée en 2012, jusqu'en 2015-2016 est liée au fonctionnement naturel de l'économie ou aux décisions du gouvernement socialiste de l’époque ? En 2015, Hollande déclarait « ça va mieux ». Pour comprendre cette phrase, revenons en arrière. La récession de 1993 a été suivie en 1998 d'une poussée de croissance, soit 6 ans après. Donc en 2015, soit 6 ans après la crise de 2009, en suivant la même logique, les choses devaient aller mieux. Et ce fut le cas !

Finalement, le véritable problème n'est pas la récession qui vient du cycle mais la capacité des États à faire en sorte que cette plongée soit la moins importante possible. Le cycle intervient malgré leur prétention à maîtriser l'économie. Il y a d'ailleurs une certaine forme de reconnaissance de leur impuissance puisqu'ils renvoient de plus en plus vers le banquier central. Ce dernier prend souvent la décision d’essayer de donner de la croissance en donnant de l'inflation. Cela se heurte à deux difficultés. La première est que la banque centrale ne crée qu’accessoirement de la monnaie, le processus reposant sur l’action des banques commerciales. La seconde est que cela ne résout rien car ce sont les politiques systématiques de plein emploi qui génèrent de l'inflation, et non pas l'inflation qui permet de lutter contre le chômage. C'est le refus du fonctionnement naturel de l'économie au travers d'un plein emploi artificiel qui génère de l'inflation.

En fait, la leçon de 2008-2009 se résume à deux choses. La première est l'incapacité grandissante de l’État à répondre au cycle. La seule chose que peut et doit faire l’État face au cycle, c'est de permettre aux entreprises de le passer, de lui survivre, par exemple en allégeant leurs charges dans la période négative du cycle. Cela suppose d’avoir une fiscalité en stabilisateur automatique. En Europe, le problème a normalement été résolu avec le pacte budgétaire européen ou TSCG. La deuxième chose, c'est l’affirmation de plus en plus nette de la dynamique concurrentielle, dynamique d’autant plus essentielle que nous nous la sommes appropriée. Il suffit pour s’en convaincre de constater que le covoiturage est devenu le concurrent majeur de la SNCF.

Nous arrivons à une phase où il est clair que les chrysohédonistes ont échoué. Le seul enjeu de l’État désormais est d’une part de laisser vivre les chercheurs, de laisser vivre l'intelligence et de cesser de croire que c'est en la payant qu'on la suscite, et d’autre part de constater la concurrence. Cette dernière assure mécaniquement le transfert du pouvoir d'achat et des gains de productivité vers l’ensemble de l’économie par des baisses de prix. Avec comme conséquence indirecte qu’il faut cesser de demander à la Banque centrale de nous donner de l'inflation ! Elle doit se concentrer sur sa mission première: être prêteur en dernier ressort.

Le message que l'on doit faire passer aux responsables la politique économique, c'est « Oubliez-nous ! » ; et oubliez les illusions chrysohédonistes. Elles conduisent à une accumulation de dette publique qui sera d'autant plus difficile à effacer que les nouvelles technologies en générant de la concurrence nous ont débarrassés de l'inflation.

Visionnez la conférence de Jean-Marc Daniel lors du Weekend de la Liberté 2018.



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