Réindustrialiser la France : un enjeu vital pour l’avenir du pays
Réindustrialiser la France : un enjeu vital pour l’avenir du pays
Les Français à qui l’on a toujours dit que notre pays est une « grande puissance », en position numéro six dans le monde, sont stupéfaits de découvrir, avec la crise du coronavirus, que nous sommes extrêmement dépendants de l’étranger pour un très grand nombre de produits, y compris les plus essentiels comme les médicaments. Nos médicaments proviennent presque tous de l’Inde ou de la Chine, et l’on nous apprend que nous ne fabriquons pas les respirateurs artificiels dont nos hôpitaux ont besoin pour équiper leurs salles de réanimation : les Allemands ont deux fabricants, la Suisse, un petit pays pourtant, en a un, qui est d’ailleurs très réputé, alors que nous n’en avons aucun. Et ces jours ci les journaux nous apprennent que nos usines d’automobiles sont arrêtées en raison d’une grave pénurie de semi-conducteurs : ce sont essentiellement les Taïwanais qui nous approvisionnent, le groupe TSMC détenant à lui seul 55 % du marché mondial. Notre ministre de l’ économie, Bruno Le Maire, s’en alarme, et nous dit : «Notre dépendance vis à vis de l’Asie est excessive et inacceptable ».
Aveuglement
Aussi, les pouvoirs publics, qui depuis la fin des trente glorieuses ont aveuglement plongé la France dans la mondialisation, font-ils, soudain, marche arrière : ils affichent depuis quelques mois leur ferme volonté de relocaliser bon nombre de fabrications sur notre territoire, accordant même, maintenant, des aides aux industriels pour qu’ils rapatrient leurs productions. Ce souci de réindustrialisation du pays né de la recherche d’une moindre dépendance vis-à-vis de l’étranger va sans doute permettre à nos dirigeants de découvrir, enfin, que l’avenir de notre pays se joue sur sa capacité à se réindustrialiser. Au moins la crise du coronavirus aura-t-elle eu un effet bénéfique : replacer l’industrie au centre des préoccupations de notre gouvernement, et nous allons voir que c’est essentiel pour l’avenir de notre pays. Mais il faudra se réindustrialiser essentiellement à base de nouvelles technologies.
Nos différents gouvernements avaient, en effet, vu jusqu’ici d’un très bon œil le pays se désindustrialiser, pensant que c’était, là, le signe même de sa modernisation. Cela vient de ce que toute l’élite aux commandes, après la fin des trente glorieuses, a été marquée par les travaux de Jean Fourastié, l’auteur du fameux ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle », un ouvrage très documenté dans lequel cet économiste a montré que les sociétés, en se développant, passent obligatoirement du secteur primaire, l’agriculture et la pêche, au secteur secondaire, l’industrie, puis, ensuite, du secteur industriel au secteur tertiaire, celui des services. Ainsi pouvait-on conclure qu’une société moderne ne comporterait plus que des activités relevant du secteur tertiaire. On pensa que le monde s’organiserait selon un schéma où les activités industrielles seraient reversées sur les pays en voie de développement qui, de par leur surabondante main d’œuvre bon marché se chargeraient des tâches ingrates et salissantes de la production industrielle, les pays développés se consacrant aux tâches nobles de la connaissance et du savoir. Ainsi, les pays occidentaux échangeraient leur savoir contre les biens manufacturés dont ils ont besoin, fabriqués à bas prix par les pays sous-développés. On était encore à l’ère de la suprématie de l’homme blanc dans le monde : un stéréotype aujourd’hui totalement éculé.
Chine
Comme on le sait, la Chine, dans le cadre de cette stratégie, non seulement est devenue l’usine du monde, mais elle a aussi rattrapé à pas de géant son retard technologique : elle a su exiger des pays occidentaux qui installaient des usines chez elle pour bénéficier des coûts très bas de sa main d’œuvre, une main d’œuvre obéissante et habile, des transferts de technologie, elle a fait de l’espionnage industriel pour piller les know-how des Occidentaux, et elle a eu l’intelligence d’envoyer ses meilleurs étudiants se former dans les grandes universités américaines. Aujourd’hui, la Chine a autant de chercheurs que les États-Unis, elle dépose davantage de brevets chaque année que les Américains, et elle a pour projet de devenir le numéro un mondial dans le domaine de l’intelligence artificielle. En 2016 elle est passée devant les États-Unis en nombre d’articles scientifiques publiés, et elle est devenue le premier exportateur mondial de TIC ( Technologie de l’information et de la communication) et de produits de haute technologie. Et le géant chinois Huawei s’est lancé dans une course à l’innovation avec Samsung et Apple.
France
La France a ainsi vu
fondre à grande vitesse son secteur industriel, et elle est devenue, à présent, en Europe, le pays le plus désindustrialisé, la Grèce mise à part. Son secteur industriel ne concourt plus que pour 10 % seulement à la formation du PIB, alors qu’en Allemagne il représente 23 %, la moyenne des pays de l’OCDE se situant à 20,0 %. Notre ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a déclaré tout récemment, en présentant son plan de « relance industrielle : « Nous avons laissé partir nos usines, nos compétences, des filières entières depuis 20 ou 30 ans », et il a parlé d’un « scandale économique » et d’ «une faute politique ».
Il faut comprendre l’enchainement fatal dans lequel se sont trouvés entrainés nos dirigeants en laissant fondre comme ils l’on fait notre industrie. Il s’agit d’une spirale descendante dangereuse. L’industrie est un secteur qui crée beaucoup de richesse, directement et indirectement. En laissant fondre le secteur secondaire de notre économie le pays s’est appauvri et les gouvernements successifs se sont vus contraints, pour soutenir le niveau de vie des habitants, d’effectuer des dépenses sociales de plus en plus importantes. Elles sont devenues les plus élevées, aujourd’hui, de tous les pays de l’OCDE, en proportion du PIB. Ces dépenses sociales allant régulièrement en croissant ont gonflé les dépenses publiques, lesquelles ont conduit les gouvernements à accroitre, d’année en année, les prélèvements obligatoires ; et, ceux-ci, se révélant toujours insuffisants, il y a eu la nécessité ,pour les pouvoirs publics, de recourir à l’endettement afin de boucler chaque année le budget de la nation. Ce mécanisme s’est amorcé il y a quarante ans, et l’endettement du pays n’a donc pas cessé de croitre, pour atteindre, en 2019, 100 % du PIB. Et la pandémie du coronavirus est venue, malencontreusement, en 2020, se greffer sur ce phénomène structurel , aggravant très sérieusement la situation de l’économie française. L’endettement a fortement augmenté, pour atteindre 122 % du PIB fin 2021, les pouvoirs publics s’étant trouvés pris au dépourvu pour soutenir l’activité économique du pays. Le « quoi qu’il en coûte »du Président français s’est imposé, et l’on a donc ouvert sans modération les vannes de l’endettement.
Importance capitale de l'industrie
Les économistes n’ont pas su sensibiliser en temps voulu les pouvoirs publics sur l’importance capitale que revêt l’industrie pour assurer la prospérité d’un pays et procurer les éléments lui permettant d’avoir dans le monde une position forte, au plan politique. Seuls quelques grands économistes ont tiré la sonnette d’alarme, tout particulièrement Élie Cohen et Christian Saint Étienne. On sait combien on monte en épingle, lorsqu’elles se réalisent, les ventes de Rafale, ces fameux avions de combat de la firme Dassault, et on s’enorgueillit de pouvoir doter l’ Australie de sous-marins ultra modernes. Et nous n’avons pas eu d’autre solution pour renouveler les fusils d’assaut de l’armée française que de s’adresser à un fabricant allemand, la France depuis la fermeture de la fameuse manufacture d’armes de Saint-Étienne n’en fabricant plus.
Le graphique ci-dessous montre la corrélation très forte existant entre la production industrielle dans les pays et leur niveau de richesse. La production industrielle, calculée à partir des données de la BIRD,( organisme qui incorpore la construction dans le secteur industriel ) et ramenée, ici, par habitant, est prise comme variable explicative sur ce graphique. On voit que la corrélation avec les PIB per capita des pays est extraordinairement forte, le coefficient de corrélation étant supérieur à 0,93.
La France, avec une production industrielle de 6.900 dollars par personne a un PIB/tête de 40.493 dollars, l’Allemagne avec un ratio de 12.400 dollars obtient un PIB/tête de 46.258 dollars, et la Suisse qui est en tête de tous les pays dans cette corrélation, avec une production industrielle de 21.000 dollars se voit dotée d’un PIB/habitant record :81.993 dollars.
On comprend donc que le redressement de l’économie française nécessite que le pays puisse se réindustrialiser. Le redressement de notre secteur industriel constitue un enjeu majeur, l’objectif étant de porter à 18 % environ la contribution de l’industrie à la formation du PIB. Il faut créer de la richesse pour réduire les dépenses sociales, et comprimer les dépenses sociales pour cesser de s’endetter. Cela nécessiterait que les effectifs du secteur industriel puissent passer de 2,7 millions de personnes, chiffre actuel, à 4,5, millions, soit 1,8 million de personnes de plus employées dans le secteur secondaire. Et cet accroissement des effectifs du secteur industriel induirait automatiquement 3,6 millions d’emplois dans le secteur tertiaire. Le problème du chômage en France se trouverait ainsi complètement résolu, et l’on serait sorti de l’engrenage fatal dans lequel le pays se trouve engagé depuis quarante ans.
Il faut donc s’interroger pour savoir comment procéder pour atteindre un tel objectif :un objectif, indubitablement, extrêmement ambitieux. Pour relever ce défi, car il s’agit bien d’un défi, il faut s’attaquer aux causes mêmes qui ont fait que le secteur secondaire de notre économie a aussi fortement décliné depuis la fin des trente glorieuses : car les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. On cite souvent Albert Einstein à ce sujet, qui aurait dit : « C’est de la folie de penser qu’en faisant tout le temps la même chose vous pourrez obtenir des résultats différents ».
Si l’on ne change rien aux causes qui ont provoqué le déclin de notre industrie on ne parviendra évidemment pas à réindustrialiser le pays. Identifier les causes pour lesquelles notre secteur industriel a fondu est donc bien la première phase de la démarche à suivre pour redresser le pays : là est la question à résoudre pour la France, si du moins notre pays veut reprendre son destin en mains. Malheureusement, personne ne se préoccupe de procéder à ces analyses.
Quelles sont donc les causes qui ont provoqué le déclin de notre industrie ? Elles sont de trois ordres différents:
-Notre droit du travail, et, d’une façon plus générale, le climat social du pays;
-Notre fiscalité ;
-Le manque de capitaux pour financer les jeunes pousses.
La qualité du climat social, nous disent les économistes, est un facteur clé de la compétitivité d’un pays. Les firmes étrangères qui voudraient investir dans notre pays sont souvent arrêtées par le « climat social » de la France. C’est ce que nous dit, par exemple, le président de l’AmCham, la chambre de commerce américaine à Paris. Les syndicats ont encore dans leur ADN la charte d’Amiens de 1906 qui prône la destruction du patronat, avec comme moyen d’action la grève générale : il s’agit, en France, d’un syndicalisme révolutionnaire. Et cela a conduit au code du travail que nous avons actuellement, un code extrêmement lourd et particulièrement favorable aux salariés.
Il suffit pour s’en convaincre de s’en référer au code du travail de la Suisse, un pays où l’ Etat n’intervient pas dans le dialogue social, et où accourent, chaque jour, pour y travailler, des milliers de frontaliers. Et c’est un pays où il n’y a jamais de grève..
Second élément négatif :la fiscalité française. Les charges fiscales pesant sur nos entreprises sont anormalement élevées : les comparaisons avec l’étranger montrent que les impôts de production sont bien plus importants chez nous que partout ailleurs, ainsi d’ailleurs que les impôts sur les bénéfices. Le gouvernement, depuis quelques années, tente d’y remédier, mais on est loin encore d’être alignés sur l’ Allemagne, par exemple.. Et, autre anomalie française, extrêmement préjudiciable particulièrement à nos entreprises industrielles : la fiscalité sur les successions. Les droits de succession au moment où décède le fondateur d’une entreprise empêchent généralement les héritiers de prendre le relai, et l’entreprise change de mains. En Allemagne, il en va tout autrement : les entreprises demeurent dans le giron familial, et les économistes considèrent que c’est, là, un des éléments qui fait la force de l’industrie allemande. Les Mittelstand constituent la colonne vertébrale du modèle social allemand : il y a continuité de direction, souci du long terme, et attachement du personnel à l’entreprise.
Troisième élément négatif : le manque de capitaux pour nourrir la croissance des jeunes pousses. La France manque cruellement de «business angels », ainsi que de fonds d’investissements qui viendraient apporter aux jeunes entreprises les capitaux dont elles ont besoin pour croitre rapidement. Certes, il s’agit d’investissements à risque, et, là aussi, la fiscalité a un rôle clé à jouer : elle doit être conçue pour permettre aux détenteurs de capitaux d’orienter leur épargne dans le bon sens, au plan économique, ce qui n’est pas le cas, actuellement, en France.
On pourrait rajouter à ces trois causes l’interdiction qui est faite à l’ État par la Commission de Bruxelles d’apporter son aide à des entreprises en difficulté pour traverser une crise passagère.
Réindustrialiser
La France va-t-elle être capable, politiquement, et socialement, de procéder dans des délais relativement brefs à toutes les mutations qui seraient nécessaires pour que le pays puisse se redresser en se réindustrialisant ? On ne peut qu’en douter.
Les pesanteurs sont énormes. La sociologie française n’est pas aisée à modifier car ses traits fondamentaux relèvent d’une longue histoire comme le montre l’ouvrage qu’a publié récemment Jean Philippe Feldman intitulé «Exception française :histoire d’une société bloquée ». Les lois sur le travail peuvent être difficilement changées car il y aurait immédiatement des levées de boucliers telles qu’aucun gouvernement n’y résisterait ; quant à la fiscalité, avec la crise du coronavirus qui a contraint le gouvernement à accroitre considérablement notre endettement, elle ne pourra que s’alourdir, du moins dans l’hypothèse où l’on voudrait cesser de s’endetter et commencer à rembourser la dette du pays.
Et, pourtant, il est impossible de poursuivre sur la voie actuelle.
Claude Sicard, économiste, consultant international
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