Quelle société pour les Français
Dans quel type de société les Français veulent-ils vivre ?
Au moment où le gouvernement va tirer les conclusions du
Grand débat qu’a organisé Emmanuel Macron en réponse au déclenchement de la révolte des gilets jaunes, une question fondamentale se pose : dans quel type de société les Français veulent ils vivre ?
La chaîne BFM TV a réuni sur son plateau, mercredi dernier, les chefs des grands partis politiques français pour tirer les leçons de cette grande concertation populaire. Il s’agissait de confronter les points de vue de ces dirigeants politiques sur les mesures à prendre pour sortir de la crise actuelle. Le spectacle s’est révélé tout à fait décevant. Aucun de ces dirigeants ne s’est trouvé à même de formuler un diagnostic précis des problèmes économiques que notre pays a à résoudre, et, ce qui est encore plus grave, aucun d’eux n’a eu la lucidité voulue pour faire ressortir que la première question qui est à résoudre est de savoir si les Français veulent vivre dans une société libérale ou bien dans une société dirigiste, voire de type socialiste. Aussi, les mesures qui ont été proposées n’ont- elles pas pu s’inscrire dans le cadre d’une vision cohérente des dispositions à prendre pour sortir le pays de l’impasse dans laquelle il se trouve.
Les gilets jaunes se plaignent de ne pas pouvoir finir leurs fins de mois. On sait que leur révolte a été déclenchée par une nouvelle augmentation des taxes sur les carburants. Ils nous disent qu’ils souffrent de la désertification des territoires dans lesquels ils vivent, et être victimes d’injustices dans la distribution des revenus en France. Ils se plaignent d’être écrasés d’impôts. Notre pays est, effectivement, le pays où les prélèvements obligatoires sont aujourd’hui les plus importants de tous les pays de l’OCDE, le taux de chômage est depuis des années anormalement élevé, et le PIB par tête des Français est très loin d’être l’un des plus élevés d’Europe. L’Etat ne parvient pas, chaque année, à boucler ses budgets, le pays s’endette de plus en plus, et les services publics fonctionnent mal. L’économie de notre pays est, incontestablement, en grave difficulté.
La désindustrialisation : le mal français :
Le véritable mal qui affecte aujourd’hui la France, et cela n’est jamais assez dit, tient à sa grave
désindustrialisation. Notre secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB alors que la norme européenne est à 20 %, certains pays comme l’Allemagne ou la Suisse étant bien au dessus, d’ailleurs. La France est devenue, aujourd’hui, le pays le plus désindustrialisé de tous les pays européens, la Grèce mise à part. L’industrie française n’a pas résisté à l’ouverture des frontières imposée par la mondialisation, et les effectifs de ce secteur ont fondu : on est passé de 6,7 millions de personnes employées dans ce secteur à la fin des Trente glorieuses à 2,7 millions, aujourd’hui :il en est résulté les taux de chômage que nous connaissons, une désertification des campagnes car les usines ne sont plus aujourd’hui dans les villes mais bien dans les campagnes, et un déséquilibre chaque année de notre balance commerciale, les biens manufacturés représentant toujours 75% à 80 % des exportations dans les balances commerciales des pays. La France, il faut le dire aux autorités de Bruxelles, est un pays sinistré : elle devrait avoir droit à des mesures exceptionnelles.
Quelques chiffres :
On peut estimer qu’il nous manque, pour le moins, aujourd’hui, 1,8 million d’emplois dans le secteur industriel, et cela est une estimation minimum. Si ces emplois existaient, le secteur des services se trouverait renforcé de 3,6 millions d’emplois supplémentaires, les économistes estimant qu’un emploi dans le secteur secondaire induit pour le moins deux emplois dans le secteur tertiaire. Il n’y aurait donc plus de chômage, et notre taux de population active serait revenu à la normale. Il faut, en effet, se rendre compte que la France a le taux de population active le plus faible d’Europe : 45,2 % contre par exemple 51,6 % au Danemark et 53,4 % en Allemagne. Il s’agit de la proportion de personnes qui travaillent par rapport à la population totale, encore que l’on inclue dans les actifs les chômeurs qui cherchent un emploi. Et, phénomène aggravant, la durée de vie active des salariés est la plus faible des tous les pays européens, et les temps de travail sont les plus réduits d’Europe. La durée de vie active d’un travailleur salarié, en France, est de 35 ans, contre 38,1 ans en Allemagne, et 42,5 ans en Suisse, et le temps de travail est de 1.646 heures/an, contre 1.845 heures par exemple en Allemagne. La France est ainsi le pays en Europe où le taux de population active est le plus bas, où les salariés ont la durée de vie active la plus faible, et où la durée de travail annuel est la plus réduite.
Il ressort de ces chiffres que la solution à notre sortie de crise se trouve dans les leçons à tirer de ces données. Certes, les prélèvements obligatoires sont trop importants, mais il faut bien voir qu’ils résultent de la situation que nous venons de décrire : les Pouvoirs publics, au cours des années, ont multiplié les aides sociales pour tenter de palier aux effets désastreux de la désindustrialisation, les faisant croître à vive allure. Elles ont ainsi augmenté, chaque année, bien plus vite que le PIB, et en sont venues à représenter, aujourd’hui, 58,8 % des dépenses publiques. Réduire les dépenses publiques, c’est donc toucher aux dépenses sociales, ce qui est extrêmement difficile politiquement.
Le véritable problème à résoudre, pour notre pays, est celui de la création d’emplois marchands. Il nous manque pas moins de 5,4 millions d’emplois marchands : s’ils existaient, il n’y aurait plus de chômage, le PIB/tête des Français serait égal à celui des Allemands, et notre taux de population active serait normal. Tout le problème est donc de savoir comment faire face à ce terrible défi.
Choisir entre la liberté économique et le dirigisme :
Ce problème, pour être résolu, nécessite que l’on se prononce clairement, enfin, sur le système économique dans lequel le pays souhaite fonctionner. Curieusement, aucun des participants au débat organisé par Ruth el Krief na posé le problème. Il va s’agir, en effet, de sortir de l’ambiguïté dans laquelle le pays se débat depuis un peu plus d’une quarantaine d’années maintenant. Si l’on opte pour une économie libérale, il faut, au plan fiscal et en matière de droit du travail, s’aligner rapidement sur les pays qui fonctionnent le mieux dans ce type de système.
La Suisse est, alors, sans doute le meilleur exemple dont on puisse s’inspirer en Europe, et elle est à notre porte. Elle a un PIB/tête double du notre, une industrie puissante, une balance commerciale toujours fortement positive, et un taux de chômage très faible. Et, chaque jour, un peu plus de 300.000 travailleurs frontaliers s’y précipitent pour travailler. Si, par contre les Français ne veulent pas d’une économie libérale, il faut alors que l’on en revienne au colbertisme, un système où l’État intervient énormément dans l’économie. Ce choix est, par exemple, celui préconisé par Jean-Louis Beffa, l’ancien président de Saint- Gobain, dans son fameux ouvrage «La France doit choisir ».Il lui paraît être celui convenant le mieux à la culture du peuple français, Jean-Louis Beffa faisant le constat que les Français se sont montrés finalement hostiles au modèle anglo-saxon qu’il qualifie, dans son livre, de «libéral financier ». Jean Louis Beffa prône, pour la France, une État stratège qui investit et place l’industrie au cœur de ses préoccupations.
Le Grand débat s'est trompé d'objectif,
Emmanuel Macron, en lançant le
Grand débat, semble donc bien s’être trompé d’objectif : plutôt que d’interroger les Français sur ce qu’il faut faire pour sortir le pays de l’ornière, il eut été plus utile qu’il leur demandât quel est le type de société dans lequel ils veulent vivre. Cela eut bien été, en démocratie, un choix fondamental revenant au peuple, les moyens techniques pour y parvenir relevant de la responsabilité des dirigeants. Dans le grand débat qui a été lancé, on a inversé les priorités. Mais, sans doute, notre Président, qui est un libéral convaincu, redoutait-il la réponse qui lui aurait été faite. On en est donc à débattre des mesures à prendre sans savoir quel est l’objectif vers lequel on veut s’acheminer. Si l’on ne tranche pas la question de savoir dans quel type de société on veut vivre, il sera impossible de redynamiser l’économie du pays.
Claude Sicard, économiste, ancien président de OCS, Consultants
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