Pourquoi la Démocratie Résiste aux Critiques

Pourquoi la Démocratie Résiste aux Critiques

 

Par Finn Andreen, octobre 2024


 

Il a souvent été dit que le « règne de la majorité » au sens politique du terme n'existe pas tel que présenté par les institutions dominantes des prétendues « démocraties » occidentales. Il est donc remarquable de voir une telle résistance de l'opinion publique occidentale aux critiques de la démocratie.

Le support pour la démocratie représentative en Occident peut s’expliquer des deux manières suivantes. Premièrement, la démocratie est largement perçue comme un système politique progressiste et éclairé qui a remplacé des monarchies généralement décrites comme rétrogrades et répressives. Deuxièmement, malgré l’absence de « règne de la majorité », la démocratie peut jouer un rôle de canalisateur de l’opinion publique dans une société politisée. Ces deux points sont élaborés ci-dessous.

La Démocratie, Amélioration Discutable de la Monarchie

Le scénario dominant considère la démocratie comme une amélioration morale par rapport à la monarchie ; les gouvernements d’aujourd’hui tirent leur légitimité de la volonté du peuple et non plus du droit divin des rois. Cependant, ceci est une vision largement caricaturale et contrefactuelle, notamment parce que les élections et les pratiques de vote ne sont pas spécifiques aux « démocraties libérales » ; certaines étaient en vigueur bien avant l’introduction du suffrage universelle.

La « volonté du peuple », si souvent évoquée, est la dernière « formule politique », qui selon l’historien italien Gaetano Mosca, permet à la « minorité organisée » de justifier sa domination sur une « majorité désorganisée et indifférente » à l’ère laïque des droits individuels. De ce point de vue, il n’y a pas de différence fondamentale entre démocratie et monarchie.

Comme le résuma le politologue américain James Burnham dans une œuvre majeure, Les Machiavéliens (1943) : « L’existence d’une classe dirigeante minoritaire est, il faut le souligner, une caractéristique universelle de toutes les sociétés organisées dont nous avons connaissance. Elle est présente quelles que soient les formes sociales et politiques de la société – qu’elle soit féodale, capitaliste, esclavagiste ou collectiviste, monarchique, oligarchique ou démocratique, quelles que soient les constitutions et les lois, quelles que soient les professions et les croyances. »

Bien qu’il soit aujourd’hui courant de comparer positivement la démocratie à la monarchie, cette comparaison devient problématique lorsque le critère de référence est la liberté. La liberté économique et politique n’est pas une conséquence évidente du droit de vote, ce qui devrait être évident en Occident aujourd’hui. La liberté est liée à la protection de la propriété privée et doit donc être considérée comme inversement corrélée à la taille et au pouvoir de l’État.

Malgré ses défauts, et certainement dans sa version absolutiste tardive, la monarchie, en tant que système politique associant pouvoir et propriété privée, avait une tendance naturelle à protéger les droits de propriété. Avec le temps, en particulier avec l’ère démocratique, le domaine public s’est élargi aux dépens de la propriété privée. Ce n’est pas une coïncidence si la croissance de l’ État régulateur moderne, financé par une explosion de l’utilisation de la planche à billets et de la fiscalité, a commencé au moment où les sociétés sont devenues démocratiques.

Dans les démocraties modernes, les différences entre les partis politiques ont diminué avec l’attraction centripète du centre politique. L’électorat vote souvent pour des programmes qu’il connaît à peine et qui sont ensuite peu mis en œuvre. La manipulation électorale est répandue. Trop souvent, les promesses de campagne n’ont que peu à voir avec la politique qui suit. Rousseau n’a peut-être que légèrement exagéré lorsqu’il écrivit dans Le Contrat social (1762) à propos du parlementarisme britannique, qu’entre les élections, « l’individu est un esclave, il n’est rien ».

Certains en Occident commencent à devenir conscients de cette réalité, comme le montrent les tensions politiques croissantes. Mais l' illusion est généralement si puissante, notamment parmi les personnes de formation supérieure, que ceux-ci semblent, comme dans « Les Habits Neufs de l'Empereur », être complices de leur propre duperie à propos de la démocratie.

La Démocratie, Vecteur de l’Opinion Publique

L’importance de l’opinion publique pour le pouvoir politique a été reconnue par Thomas d’Aquin au XIIIème siècle, puis clairement exprimée par Étienne de la Boétie dans son Discours sur la Servitude Volontaire (1549). David Hume nota (1777) que « c’est sur l’opinion seule que se fonde le gouvernement ; et cette maxime s’étend aux gouvernements les plus despotiques et les plus militaires, comme aux plus libres et aux plus populaires ».

Les démocraties tiennent donc compte de l’opinion publique, non tant en raison de leur nature « démocratique », mais parce qu’elles y sont obligées. Or, vu que les dirigeants démocratiques tirent leur légitimité de la « volonté du peuple », la gestion de l’opinion publique est sans doute encore plus importante dans les systèmes politiques « représentatifs » que dans les régimes autoritaires, comme l’a noté Noam Chomsky. En conséquence, les états démocratiques sont naturellement tentés d’utiliser la propagande, la désinformation et la censure, afin d’obtenir ou de conserver le consentement du peuple, comme l’a compris Aldous Huxley.

Un quatrième pouvoir indépendant est évidemment crucial. Pour le juriste allemand Carl Schmitt, « la discussion » et « l’ouverture » sont des conditions sine qua non pour qu’une démocratie représentative ne glisse pas vers l’autoritarisme. Il expliqua que « la discussion implique des convictions partagées comme prémisses, la volonté de se laisser convaincre, l’indépendance par rapport aux liens partisans, la liberté par rapport aux intérêts égoïstes. La plupart des gens considèrent aujourd’hui un tel désintéressement comme difficilement possible. Mais même ce scepticisme fait partie de la crise du parlementarisme. »

En effet, une démocratie qui remplit ces conditions préalables, c’est-à-dire qui permet de telles conditions de transparence dans la société, est « difficilement possible » car elle tend inévitablement à devenir victime de son propre succès démocratique. La minorité dirigeante, sous la pression des inévitables contrôle politique et pertinente critique que ces conditions permettent, essaie de saper ces mêmes conditions de « discussion » et d’ « ouverture » qui ont initialement contribué à légitimer son pouvoir. Les tentatives de restriction et de contrôle des médias sociaux et de leurs contenus en sont des exemples aujourd’hui.

Mais contrairement aux régimes autoritaires, le processus démocratique peut permettre à la majorité de sanctionner ou de récompenser publiquement différentes forces politiques au sein de la minorité au pouvoir, en agissant comme un vecteur de transmission de l’opinion publique. Comme l’expliqua Mosca : « la fonction électorale est un moyen par lequel certaines forces politiques contrôlent et limitent l’action des autres, lorsqu’elle est exercée dans de bonnes conditions sociales ». Ces « bonnes conditions sociales » convergent évidemment sur les critères de Carl Schmitt ci-dessus.

Ludwig von Mises a également reconnu cette « fonction sociale » de la démocratie, « cette forme de constitution politique qui permet l’adaptation du gouvernement aux souhaits des gouvernés sans luttes violentes ». En particulier dans l’Occident politisé, avec ses États fortement interventionnistes, le processus démocratique peut, lorsque les conditions le permettent, servir de soupape pour l’insatisfaction politique refoulée de la majorité.

Lorsque les conditions sociales ne sont pas favorables à ce processus, la démocratie en tant que système politique commence à être remise en question et une crise politique s’ensuit. C’est sans doute ce qui se passe aujourd’hui en Occident, où les élections apportent peu de changement politique et où l’oligarchie financière occidentale tente de renforcer son contrôle sur l’agenda politique international.

Malgré ses faiblesses, la démocratie démontre une certaine résistance aux citriques en Occident, et ce pour les raisons évoquées ci-dessus. Cette légitimité semble aujourd’hui s’éroder, et il est donc plus essentiel que jamais de rappeler au public les principes et les bienfaits de la liberté.

 

Pour lire l'article en anglais sur le site de l'institut Mises:  
 
 



0 commentaire(s)


Vous souhaitez commenter ?

Votre adresse électronique ne sera pas publiée. Les champs requis sont marqués d'une *