Pas d’Ordures à l’Abandon dans une Société Libre
De Finn Andreen, avril 2023
Pendant les récentes grèves, les ordures ménagères se sont entassées dans les rues, nuisant au bien-être des français. Les photos de milliers de poubelles dans Paris ont choqué à l’étranger, dégradant encore plus une image de la France déjà écornée. Mais il faut dire que tout aussi choquant est la tolérance ou la résignation des français face à cette accumulation d’immondices.
Si les idées libérales étaient davantage comprises et répandues en France, les français comprendraient mieux à quel point l’organisation politique actuelle est non seulement inefficace, mais aussi et surtout moralement inacceptable, quand elle permet une telle situation de se développer. D’ailleurs, il n’est pas possible de comprendre le problème des déchets non ramassées sans comprendre plus largement la problématique des biens soi-disant « publics ».
Les éboueurs et le « droit » de grève
Puisque la cause directe des amas d’ordures dans les rues est la grève des éboueurs, il faut évoquer le « droit de grève ». Dans une société libre, pouvoir décider unilatéralement de ne pas travailler ne serait pas un droit légal protégé par la loi. Le « droit de grève » actuel doit alors plutôt être considéré comme une ingérence injuste de l’Etat dans la relation naturelle entre employé et employeur ; en d’autres termes, une défense par l’Etat de la violation du contrat de travail par des employés syndiqués.
Dans un marché libre les travailleurs ne peuvent être interdit d’adhérer à des syndicats ; au contraire, des employés de catégories professionnelles similaires ont naturellement un intérêt à s’organiser, par exemple pour mieux négocier les contrats de travail avec les employeurs. Par contre, sans subventions des caisses des syndicats par l’Etat, les syndicats utiliseraient prudemment l’arme de la grève contre une entreprise privée et ne devrait pouvoir s’attendre a être défendus par l’Etat.
Dans un marché libre, l’employeur pourrait légitimement répondre par une baisse de salaire, une sanction, ou un licenciement de l’employé gréviste. De plus, si une grève empêchait certains produits ou services d’être proposés par une entreprise, elle perdrait des parts de marché et des entreprises concurrentes prendraient immédiatement le relais.
Mais le problème de la grève des fonctionnaires, qu’ils soient éboueurs ou cheminots, est qu’ils sont en position de monopole et que les victimes de ces grèves sont des citoyens et entreprises tierces - pas l’employeur, l’Etat. Le « droit de grève » des fonctionnaires a donc encore moins de raison d’être toléré par le libéral. En effet, dans beaucoup de pays, comme l’Allemagne, l’Estonie ou la Turquie, les fonctionnaires n’ont pas de droit de grève, dans la logique où ils sont au service de la société et que leur grève pénalise le public et pas leur employeur.
D’ailleurs, même en France le Conseil Constitutionnel a décidé (n°79-105 DC du 25 juillet 1979) que le droit de grève n’est pas simplement « acquis » dans la fonction publique, mais au contraire, est toujours à mettre en relation avec le service fourni, et qu’il est possible de décider « l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ». La collecte quotidienne des ordures ne serait pas un « besoin essentiel » ?
Il faut rappeler que certaines fonctions publiques sont déjà exclues du droit de grève, comme la police, les juges, les militaires, le personnel pénitencier, etc. En 1964, De Gaulle avait aussi interdit le droit de grève aux contrôleurs aériens (loi ensuite partiellement abrogée en 1984). Pour quand les éboueurs ?
La place « publique » n’est pas publique
Mais la cause fondamentale des tas d’ordures dans les rues, suite à la grève des éboueurs, est que la voierie est considérée comme un bien « public ». C’est la notion étatiste selon laquelle certains biens auraient des caractéristiques particulières qui les rendent « publics », comme supposément les voiries et les places des villes, et que d’autres biens auraient des caractéristiques qui les classent clairement en tant que biens « privés ».
Deux arguments utilisés par essayer de justifier l’existence des biens « publics » sont la supposée impossibilité de limiter la jouissance de ces biens aux utilisateurs payants (notion de « passagers clandestins »), et que les non-payants ne nuisent pas aux payants quand ces premiers jouissent du bien (notion de non-rivalité).
Cependant, cette distinction entre bien privé et public est artificielle, comme le démontra brillamment le professeur Hoppe dans un essai souvent cité. « Il n'existe pas de dichotomie nette entre biens privés et biens publics, et c'est essentiellement pour cela qu’il peut y avoir tant de désaccords sur la façon de classer un bien donné. Tous les biens sont plus ou moins privés ou publics et peuvent - et changent constamment - en ce qui concerne leur degré de caractère privé/public, à mesure que les valeurs et les évaluations des gens changent, et que des changements se produisent dans la composition de la population. »
Il n’y a donc aucune raison de considérer que les voiries et les places soient des biens « publics » ; et beaucoup d’exemples historiques et actuels montrent que cela en effet n’est pas le cas. En réalité, les places et les voieries « publiques » n’ont qu’une caractéristique qui les rendent particulières : leur seul possible propriétaire est l’Etat dans la grande majorité des cas. Leur caractère de bien « public » est implicitement utilisé pour justifier que d’Etat doit en être propriétaire.
Etant donné que les voiries sont propriété de l’Etat, il ne faut pas s’étonner du délabrement et du manque d’entretien de celles-ci dans beaucoup de villes du monde, dont Paris. L’existence d’un monopole légal sur ces biens minimise l’incitation pour l’Etat d’en maintenir la qualité. Pis, les riverains n’ont pas de choix que les utiliser, car les voiries étatiques commencent, sous forme de trottoirs, à l’entrée même des propriétés privées. Il y a donc non seulement une absence totale de choix pour les usagers, mais ceux-ci sont même obligés d’utiliser la voirie « publique », souvent de mauvaise qualité. Le même raisonnement s’applique évidemment à beaucoup d’autre biens dits « publics ».
En conclusion, pour les deux raisons présentées ici, il ne faut donc pas s’étonner que les riverains soient forcés de supporter des milliers de tonnes d’ordures non collectées sur les voieries de France. La tolérance des français aux poubelles devant leurs foyers montre à quel point le libéralisme est absent de la scène idéologique et intellectuelle en France.
Même si les idées présentées ci-dessus sont généralement considérées comme impensables aujourd’hui, il ne faut pas oublier qu’elles étaient considérées normales pendant le libéralisme français du 19ème siècle. C’est un signe que les libéraux doivent continuer leurs efforts pour expliquer et convaincre les français que le salut économique, politique et culturel de la France passe par la liberté.
Article paru dans Contrepoints
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