L’État doit-il subventionner les arts ?

 

Poser une telle question à des libéraux peut paraître absurde, et inutile tant la réponse est évidente : l’impôt étant une spoliation légale, un prélèvement à caractère violent, il ne saurait être justifié par des dépenses publiques dans la culture ou les arts.

La réponse n’est pourtant pas si évidente qu’il n’y paraît, et, comme le dit Bastiat dans son ouvrage Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas au chapitre consacré au théâtre et aux beaux-arts : « il y a certes beaucoup à dire pour et contre ». Il revient peut-être aux libéraux de dépasser en effet cette tendance à la radicalité et à l’intransigeance qui les conduit à se réfugier trop facilement derrière l’argument de l’impôt vu comme une spoliation légale. Il apparaît plus constructif d’encourager une réflexion honnête pour démontrer la validité du positionnement libéral.

En matière de culture donc, il y a bien un débat à mener, n’en déplaise aux défenseurs acharnés de l’interventionnisme culturel, tout comme aux promoteurs de l’Etat minimal. La question ne saurait être tranchée trop rapidement, ni dans un sens, ni dans l’autre.

Bastiat reconnaît dans un premier temps, « qu’en faveur du système des subventions, on peut dire que les arts élargissent, élèvent et poétisent l'âme d'une nation, qu'ils l'arrachent à des préoccupations matérielles, lui donnent le sentiment du beau, et réagissent ainsi favorablement sur ses manières, ses coutumes, ses mœurs et même sur son industrie. »

Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas accorder à la culture ce rôle prépondérant dans la formation de nos personnalités, et dans la contribution à l’harmonie ou à la concorde sociale. Cette intuition d’une culture pacifiante et capable d’élever les hommes et la société, héritée de la philosophie des Lumières (voir Condorcet et Schiller), doit néanmoins être précisée : il y aurait bien un une sorte de processus psychologique qui conduirait ceux qui s’intéressent aux arts à s’élever au-delà de leurs pulsions primaires, animales et à préférer l’harmonie à la guerre (voir Culturellement incorrect, Bertrand Allamel, 2016). C’est sur cette conviction que repose finalement la conception moderne du rôle de l’État en matière culturelle. La culture étant un facteur de paix, il revient à l’Etat d’œuvrer pour sa diffusion, et de contribuer à l’élévation des masses.

Or, s’il paraît difficile de contester cet argumentaire, on peut toutefois reprocher à Bastiat de n’avoir pas vu qu’il restait emprunt d’un certain idéalisme, quoique Bastiat n’avait probablement pas le recul historique nécessaire pour s’en rendre compte. On ne peut en effet pas prouver sérieusement les vertus de cette mécanique psycho-sociale. Comment être certain que la culture agit réellement de manière bénéfique, qu’elle créée du lien social, qu’elle réduit la violence ? Pire, un certain nombre de faits tendraient à prouver que la culture est bien incapable dans certains cas de freiner la barbarie (voir Georges Steiner). Dès lors, la justification du financement public de la culture, qui est d’ailleurs le seul argument en sa faveur évoqué par Bastiat, devient bancale.

Un examen approfondi de la question fait pourtant apparaître d’autres arguments raisonnables en faveur de la subvention publique à la culture. Tout d’abord, les biens culturels ont des spécificités intrinsèques qui conduisent les producteurs de biens culturels à adapter leur offre dans le sens d’une réduction de la qualité et d’une standardisation des propositions (pas de prise de risque artistique, préférence pour les œuvres « rentables »). La culture peut ainsi être considérée comme un secteur d’activité particulier qui doit être protégé du marché sur lequel son intégrité est menacée.

Certains affirment ensuite que la culture est un bien auquel tout le monde devrait « avoir droit » de manière équitable. Il est en effet injuste que son accès ne soit rendu possible qu'à certains individus qui ont le privilège de développer leur imaginaire, leur liberté de conscience, et d'épanouir leur être.

L’auteur libéral R. Dworkin avance enfin l’idée que nous devrions, par souci de justice envers les générations futures, leur léguer une culture au moins aussi riche que celle dont nous avons hérité nous-mêmes. L’Etat a alors un rôle à jouer pour préserver, et maintenir les « structures culturelle ».

Si certaines considérations semblent donc justifier la subvention publique pour corriger les imperfections du marché, incapable d’assumer l’importance des enjeux philosophiques et moraux de la culture, elles peinent à soutenir la contradiction apportée par une série d'arguments qui remet sérieusement en cause les fondements des politiques publiques de la culture.

Contrairement aux croyances de certains, le marché libre est tout à fait capable de générer une offre diversifiée et de qualité, et la culture issue d'initiatives publiques n'est pas plus à l'abri du risque de standardisation, du fait d'un certain conformisme politique ou administratif. De plus, l'étude de statistiques et l'apport de la théorie sociologique dite de la légitimité font voler en éclats les justifications d'ordre égalitaristes de l'interventionnisme culturel. Les actions mises en place par la collectivité profitent généralement à ceux qui en ont le moins besoin, ce qui est un comble pour une politique qui se veut sociale, voire égalitariste, et financée par l'argent public.

Les politiques publiques de la culture seraient donc inefficaces et leurs résultats discutables. A ce constat décevant d’une intervention publique par ailleurs fort coûteuse (la collectivité dépense environ 16 milliards € par an pour la culture, répartis comme suit : 10 milliards dépensés par l’administration centrale, et 6 milliards par les collectivités territoriales), vient s’ajouter la tendance observée à l’inefficacité économique, mis en évidence par l'analyse économique de la bureaucratie, particulièrement visible dans le milieu culturel : trop de dérives conduisent le milieu culturel à un incroyable gaspillage d’argent public. Par ailleurs, Bastiat rappelle à ceux qui pensent ainsi que le financement public de la culture donne du travail à certains (ce qu’on voit), que l’argent est pris aux travailleurs, qui auraient pu le dépenser librement.

Cette remarque introduit le caractère paternaliste et illégitime des décisions publiques en matière culturelle : une élite politico-administrative s'auto-attribue une mission d'édification sociale tout autant qu'une compétence factice en matière de jugement sur la qualité des œuvres et sur les besoins de la population. La collectivité confisque une partie de la liberté de choix des individus sur l'utilisation de son temps et de ses ressources, ce qui est contraire aux principes du libéralisme le plus classique, et même pourrait-on dire à la logique la plus élémentaire.

En conclusion, à la question « l’Etat doit-il subventionner les arts », on peut valablement répondre par la négative, au vu de tout ce qui a été dit précédemment. Encore faut-il être en mesure d’argumenter, afin de nourrir une réflexion en montrant qu’il y a bien un arbitrage entre des arguments favorables et défavorables au financement public de la culture. C’est au prix de telles démonstrations que les libéraux pourront, espérons-le, prouver la validité de leurs positions et progressivement contrer le politiquement correct.

Retrouvez sur YouTube la Conférence du 9 décembre 2017: "L’État doit-il subventionner les arts ?" par Bertrand ALLAMEL, auteur de Culturellement incorrect,




3 commentaire(s)

  1. […] L’État doit-il subventionner les arts ? […]

  2. […] à  la modernisation de l’islam sous des considérations censées relever d’un discours sur l’art et le beau. Nous en retiendrons les passages essentiels […]

  3. […] doit-il subventionner les arts ? https://www.bastiat.net/letat-doit-il-subventionner-les-arts/ […]


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