Les gilets jaunes : pourquoi l’explosion d’une jacquerie en France au XXIè siècle ?
Industrie et désindustrialisation.
Les gilets jaunes : pourquoi l’explosion d’une jacquerie en France au XXIè siècle ?
La
révolte des gilets jaunes a été déclenchée par une nouvelle taxe sur les carburants, une taxe de trop qui a mis le feu aux poudres. Elle est l’expression d’un profond sentiment de frustration d’une partie de la population. Le combat qui est mené avec une grande détermination est avant tout un combat pour un meilleur niveau de vie. Les gilets jaunes accusent un trop plein d’impôts et de taxes : mais le phénomène est bien plus complexe que cela. Il s’agit, fondamentalement, d’une paupérisation progressive qui s’opère de la population française un phénomène qui a été caché par un accroissement régulier de la dette extérieure du pays, et par notre appartenance a la zone Euro.
ll faut bien voir, pour comprendre le « ras le bol » des gilets jaunes, que deux phénomènes se combinent : un PIB/tète qui est modeste, faute d’avoir pu croître depuis de très nombreuses années au même rythme que celui de nos voisins, et des prélèvements obligatoires qui en sont arrivés à être les plus importants du monde, en proportion de notre PIB . La conjonction de ces deux phénomènes est devenue explosive, d’autant que la désindustrialisation du pays a provoqué une désertification des campagnes. Les usines ne sont plus aujourd’hui, en effet, dans les villes, et c’est donc la France des campagnes qui souffre le plus des effets des évolutions qui se sont produites ces quarante dernières années.
C’est bien, en fait, de la très grave désindustrialisation de notre pays dont sont victimes les gilets jaunes. Notre secteur industriel a fondu : il ne représente plus que 10% du PIB, alors que la norme européenne est à 20 %. Nos effectifs industriels sont passés de 6,8 millions de personnes à la fin des Trente Glorieuses à seulement 2,7 millions aujourd’hui. Il en est résulté un réel appauvrissement du pays. Le PIB par habitant de la France n’est pas, aujourd’hui, l’un des plus élevés d’’Europe, comme le montre le graphique suivant :
Nous en sommes à 38.476 dollars par tête, alors que l’Allemagne se situe à 44.670 $, le Danemark à 56.307 $, la Norvège à 75.504 $, et notre voisine, la Suisse, à 80.189 $. Les écarts avec ces pays sont considérables, et dans l’UE, la France se situe au 11è rang seulement, selon cet indicateur de richesse. Les Français semblent totalement ignorer cette réalité : ils sont entretenus dans l’idée que la France est la sixième grande puissance, au plan mondial, ce qui les rassure. Certes a-t- elle perdue récemment un rang, mais personne ne s’en inquiète. De même que personne ne songe s’interroger pour savoir pourquoi un petit pays comme le Danemark a un PIB/tête supérieur au notre de 46 %, et la Confédération helvétique, qui n’est pas non plus un très grand pays , un PIB/tète plus du double du notre.
L’explication de ce phénomène se trouve dans le fait que notre secteur industriel a perdu plus de la moitié de la capacité qu’a, normalement, ce secteur que l’on nomme le « second secteur de l’économie », de procurer de la richesse à un pays moderne. Le graphique ci dessous montre le rôle capital que joue l’industrie dans la production de richesse des pays. Il existe, en effet, une corrélation très forte entre la production industrielle des pays et leur PIB/tête, comme le montre le graphique suivant :
Dans ce graphique la production industrielle des pays est exprimée en US dollars par habitant. On voit que le coefficient de confiance de cette corrélation est extrêmement élevé. Notre pays avec une production industrielle de seulement 6.689 dollars par habitant a un PIB/ tête de 38.476 dollars. L’Italie et l’Espagne sont légèrement en dessous, mais bon nombre de pays européens se trouvent bien plus haut que nous. L’Allemagne, par exemple, avec une production industrielle par habitant de 12.262 dollars a un PIB/tête de 44.469 dollars, la Danemark avec 11.093 dollars par habitant a un PIB/tête de 56.307 dollars, et la Suisse constitue un cas étonnant : 20.198 dollars de production industrielle par habitant, un record mondial, et un PIB/tête extrêmement élevé de 80.189 dollars.
Le second phénomène qui aggrave le sentiment de pauvreté des gilets jaunes est constitué par les prélèvements obligatoires faramineux que sont ceux pratiqués par la puissance publique, en France, des prélèvements qui sont les plus élevés de tous les pays de l’OCDE : 47,6 % du PIB, contre 34,3 % pour la moyenne des pays de l’OCDE.
Cette conjonction entre un PIB/tête relativement modeste et des prélèvements obligatoires devenus exorbitants a provoqué cette révolte à laquelle nous assistons soudain. Le déclin des activités industrielles a produit une coupure entre la France des villes plongée maintenant dans la mondialisation et celle que certains ont qualifiée de « périphérique », pour ne plus dire « rurale ». Tous les observateurs de la vie politique le soulignent aujourd’hui : les populations vivant dans les campagnes souffrent de la difficulté accrue de trouver des emplois, et du niveau faible des salaires quand elles trouvent un travail. Et il s’est opéré une raréfaction des services publics .Cette France profonde éprouve donc un sentiment tout à fait justifié d’abandon. Le pouvoir en place ne fait qu’hériter d’une situation qui n’a cessé de se dégrader, mais il n’a pas su mesurer à quel point est ressenti dans la France rurale un sentiment de pauvreté et d’abandon. La taxe sur les carburants qui devait rapporter à l’État un peu plus de 2 milliards € était une taxe de trop. Et le Pouvoir, par méconnaissance de la gravité de la situation, a réagi trop tardivement.
Le tort qu’a eu Emmanuel Macron en accédant au Pouvoir a été de ne pas expliquer immédiatement aux Français la gravité de la situation dans laquelle se trouve l’Économie du pays. Les Français sont des personnes dont Napoléon disait, en parlant de ses soldats, qu’’ils ont cette particularité de n’obéir que seulement s’ils comprennent le sens des ordres qu’on leur donne. Dans le cas de Macron, la révolte en cours vient de ce qu’il n’a pas expliqué au peuple de France le bien fondé des mesures qu’il prenait pour redresser notre Économie.
Il va donc être extrêmement difficile au gouvernement de satisfaire les revendications des gilets jaunes : augmenter le SMIC ne peut que nuire à la compétitivité de nos entreprises, et accroître les dépenses publiques ne peut se faire qu’en recourant a l’endettement. Or celui-ci a atteint maintenant les limites acceptables. Emmanuel Macron a été par trop ambitieux : il a voulu prendre la tète dans le monde de la lutte contre le réchauffement climatique de la planète, et, en même temps, mener a vive allure la transformation de la France. Deux combats difficiles à mener de front. Le coût de la transition énergétique que souhaitent mener à grande allure les écologistes doit être assuré non pas par des taxes nouvelles mais par les économies à réaliser sur les dépenses publiques. La marge est théoriquement considérable, puisque nous avons 245 milliards € de dépenses publiques excédentaires par rapport aux autres pays
Incidemment, il serait utile de rappeler aux écologistes français que la France ne représente dans le monde que un peu plus de 1% des émissions de gaz a effet de serre qui polluent l’atmosphère de la planète.
Claude Sicard , économiste, consultant international
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