Les conditions du plein emploi
Qui crée les emplois ?
Pour cette analyse, il est utile de distinguer trois entités :
l'État
les entreprises à caractère monopolistique (pour la plupart des entreprises d'État),
les entreprises (publiques ou privées) soumises à la concurrence.
Il faut bien comprendre que tout emploi créé par l'État détruit au moins un emploi quelque part ailleurs dans l'économie. Empruntons à Bastiat l'exemple de la décision de construire une route :
"Mille ouvriers arrivent tous les matins, se retirent tous les soirs, emportent leur salaire, cela est certain. Si la route n'eût pas été décrétée, ...., ces braves gens n'eussent rencontré là ni ce travail ni ce salaire ; cela est certain encore."
"Mais est-ce tout ? ... Pour que l'évolution soit complète, ne faut-il pas que l'État organise la recette aussi bien que la dépense ? qu'il mette ses percepteurs en campagne et ses contribuables à contribution ?" ...
"Tout en constatant la destination que l'État donne aux millions votés, ne négligez pas de constater aussi la destination que les contribuables auraient donnée - et ne peuvent plus donner - à ces mêmes millions. Alors, vous comprendrez qu'une entreprise publique est une médaille à deux revers. Sur l'une figure un ouvrier occupé, avec cette devise : "ce qu'on voit" ; sur l'autre, un ouvrier inoccupé, avec cette devise : "ce qu'on ne voit pas".
"Le sophisme que je combats dans cet écrit est d'autant plus dangereux, appliqué aux travaux publics, qu'il sert à justifier les entreprises et les prodigalités les plus folles. Quand un chemin de fer ou un pont ont une utilité réelle, il suffit d'invoquer cette utilité. Mais si on ne le peut, que fait-on ? On a recours à cette mystification : "Il faut procurer de l'ouvrage aux ouvriers"."
Quant à l'entreprise monopolistique, elle peut certes créer des emplois, mais nous n'avons aucune garantie qu'elle créé seulement des emplois solvables, c'est-à-dire des emplois contribuant à créer des biens ou des services que les gens sont prêts à acheter. En réalité, il est démontré par la théorie économique et constamment vérifié par l'expérience, que les entreprises monopolistiques reviennent plus cher, pour un même service rendu, que les entreprises soumises au marché.
Le mauvais économiste peut croire que la différence sert au moins à créer des emplois. Le bon économiste sait bien que la différence diminue les niveaux de vie et détruit les emplois quelque part ailleurs dans l'économie.
La seule source d'emplois solvables est l'entreprise soumise au marché.
Aujourd'hui, les grosses entreprises produisant des biens de consommation arrivés à maturité ne créent plus d'emploi. Ce sont les PME, y compris les entreprises individuelles, qui sont susceptibles de créer des emplois en se développant. Il existe en effet dans l'économie des milliers de sortes de besoins non satisfaits, que ces entreprises seraient en mesure de satisfaire si elles n'étaient pas ligotées par toutes sortes d'entraves à leur développement.
Dans une société rationnelle, l'État, les collectivités locales, les syndicats, l'opinion publique, devraient donc se liguer pour éliminer ces entraves. Nous allons voir que c'est exactement le contraire qui se passe.
Les entraves au développement des entreprises
L'État freine le développement par les prélèvements obligatoires, une fiscalité multiforme et les complexités de la réglementation.
Les prélèvements obligatoires représentent environ 70 % de la plupart des salaires nets. Ainsi pour un SMIC de 5520 F, l'ouvrier touche seulement 4480 F, mais il coûte 7565 F à son entreprise. Pour qu'un nouvel emploi non qualifié soit créé, il faut donc qu'il rapporte plus de 7565 F à l'employeur. Celui-ci se montrera donc particulièrement sélectif avant d'engager quelqu'un.
A contrario, bien des gens préfèrent vivre médiocrement avec les subsides qu'ils peuvent glaner à droite et à gauche plutôt que se fatiguer ou se salir pour ramener 4480 F à la maison.
Le coût réel très élevé du SMIC interdit pratiquement l'embauche de toute une tranche de population de très faible qualification ou de très faible rendement. Par exemple, les débutants qui pendant les premières années vont probablement plus coûter à l'entreprise qu'ils ne lui rapporteront. Pour tous ces gens là, l'existence du SMIC est un problème : eux-mêmes, leur famille, la société, se trouveraient beaucoup mieux s'ils étaient petitement occupés pour un petit salaire plutôt que rester chez eux à ne rien faire, ou dans le cas des jeunes, à faire des bêtises. Leur remise dans le circuit créerait au contraire un cercle vertueux en permettant la diminution des prélèvements obligatoires pour les autres.
On peut se faire une image concrète de ce qu'est la complexité de la réglementation à laquelle doit se soumettre le chef d'entreprise en mettant côte à côte les quatre volumes de lois et de règlements qu'il doit connaître : le code du commerce, le code fiscal, le code du travail, le code de la sécurité sociale, soit quelques 8000 pages en petits caractères !
À propos du code du travail, le Rapport Dalle disait récemment : "cette réglementation est, dans son ensemble, à la fois complexe, non cohérente, arbitraire, archaïque, parcellisée, instable, coûteuse et finalement inefficace en regard des principes qu'elle voudrait défendre."
Comment cette complexité ne découragerait-elle pas le créateur potentiel d'entreprise, l'artisan qui voudrait prendre un compagnon, l'agriculteur qui voudrait prendre une aide ? S'il y a encore des gens qui ont le courage de lancer des entreprises, c'est qu'heureusement ils ne sont pas conscients de cette réglementation et de cette fiscalité. Malheureusement, quand ils la découvrent, c'est souvent parce qu'elle les met en faillite.
Les collectivités locales sont a priori plus favorables à l'entreprise ; cependant, elles prélèvent la taxe professionnelle, qui repose sur les immobilisations (ce qui pénalise l'expansion), et sur la masse salariale, accroissant ainsi encore plus le coût réel du travail pour l'employeur.
Les syndicats ont eu pendant des décennies un comportement et un discours fondamentalement hostiles aux chefs d'entreprises, qui sont pourtant les seuls véritables créateurs d'emploi.
Que peut-on faire ?
80 % des prélèvements sont constitués par la Sécurité Sociale dont le poste le plus important est l'assurance-maladie.
Peut-on diminuer ce poste ? On peut supposer que oui lorsqu'on note qu'il y a en France 184 000 employés de la Sécurité Sociale pour 165 000 médecins, mais que malgré cela, le système nous contraint à avoir notre propre mutuelle en plus de l'assurance-maladie.
La voie du progrès consiste à payer directement au salarié les prélèvements obligatoires et à le laisser libre de choisir l'assurance-maladie qu'il désire, au besoin en rendant l'assurance obligatoire. Les modalités pratiques d'une telle mesure ont été décrites en détail au cours de notre 3ème dîner-débat.
La réglementation pourrait être réduite à quelques lignes directrices clairement énoncées et quelques règles de bon sens, les modalités d'application étant réglées par le contrat individuel obligatoire entre l'entreprise et son employé. Quelques contrats-types pourraient aider les entrepreneurs et les demandeurs d'emplois.
Depuis la crise, l'opinion publique a pris la mesure du rôle positif des entreprises. Aussi, le discours syndical est-il apparu de plus en plus irréel aux salariés, ce qui explique leur désaffection pour les syndicats. Les syndicalistes les plus intelligents en ont tiré des leçons concrètes. À l'autre extrême, le syndicat qui n'a toujours rien appris et continue imperturbablement à enseigner la lutte de classe est en chute libre.
D'autres freins au développement de l'entreprise ont été évoqués pendant la discussion, mais ils n'ont fait que renforcer les deux idées essentielles qui se dégagent de la soirée :
Il faut libérer l'entreprise de toutes les entraves qui la paralysent
Il faut libérer l'initiative individuelle.
En conclusion, cette libération est apparue comme la condition sine qua non pour arriver à l'épanouissement du travailleur dans l'entreprise. En effet, être épanoui dans son travail, c'est :
comprendre le pourquoi de ce que l'on fait,
pouvoir exercer des initiatives et des responsabilités à la mesure de ses capacités,
être traité avec considération.
Cela dépend entièrement de l'attitude et du comportement de son patron et non des lois et règlements. Dans un système d'emploi complètement rigide, où le travailleur est piégé dans l'entreprise et le patron piégé avec les gens qu'il a embauchés, le patron n'est pas incité à se donner beaucoup de mal pour garder ses employés.
Au contraire, sur un marché libre du travail, et dans une situation de plein emploi, c'est le cercle vertueux : le patron est obligé de faire un effort beaucoup plus grand pour retenir les meilleurs, et les moins bons ont tout intérêt à faire un effort pour devenir meilleurs.
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