L'économie numérique ou la grande peur des Etats.
L’économie numérique ou la grande peur des Etats
L’économie numérique est favorable à l’économie toute entière. Son potentiel de croissance serait de 5,5% du PIB et 450 000 emplois annoncés pour 2015 (Mckinsey). En investissant tous les domaines, de la santé à l’éducation, les services autant que l’industrie, l’économie numérique bouleverse l’ordre existant et remet en cause les acquis. Il s’accomplit sans doute une vraie révolution numérique plus importante que fût la révolution industrielle de la vapeur puis de l’électricité. Car cette nouvelle révolution change les rapports sociaux autant que les processus de production et de distribution. Elle remet en question le rôle traditionnel des Etats, et c’est ce qui le trouble le plus.
Sommaire
>La grande peur de l’Etat
>Une fiscalité intrusive
>Des effets désastreux
>Le monde change
La grande peur de l’Etat
Le plus scandaleux pour les hommes de l’Etat est que cette économie puisse reposer sur la contribution des utilisateurs et l’Etat veut surtout « recouvrer le pouvoir d’imposer les bénéfices issus du « travail gratuit » des internautes » (p.5). En réalité, il n’y a pas de gratuité, mais un échange entre le client qui offre ses données en contrepartie du service de l’entreprise. Différemment le service serait payant ! Et cet échange est d’autant plus difficile à traquer, à évaluer, à taxer, qu’il accompagne ou suscite d’autres flux qui sont eux-mêmes réalisés en dehors du cadre traditionnel. Le crowfunding finance avec des monnaies virtuelles des projets dans lesquels sont créés de nouveaux services échangés entre professionnels ou entre professionnels et particuliers. Désormais tout se trouve sur la toile et s’échange allègrement, des appartements, des trajets en voiture, des vêtements…, et les particuliers se vendent et s’achètent tout et n’importe quoi en dehors des circuits traditionnels.
L’Etat français, en particulier, enfermé dans son modèle administratif et centralisé est désorienté par une économie qui se passe de lui et, pire, qui prospère dans une relation directe d’échange avec ses clients. Il s’offusque tout à la fois que ces entreprises ne fassent pas toujours des bénéfices et réinvestissent entièrement ceux qu’elles font. L’Etat redoute que l’économie numérique vide la matière imposable de sa substance. « Au-delà d’un simple manque à gagner fiscal, le développement de l’économie numérique entraîne une rétractation de la matière imposable localisée dans ces Etats » (Rapport Collin § Colin, p. 3) en rémunérant des intermédiaires délocalisés et en faisant pression à la baisse des prix.
Une fiscalité intrusive
Le but est avoué, le développement de l’économie numérique sur le territoire « doit se traduire par des recettes fiscales supplémentaires : c’est la finalité du présent rapport » (p.143). L’idée principale du rapport Collin § Colin est mettre en place une nouvelle fiscalité « fondée sur l’exploitation par les entreprises des données qu’elles collectent via un suivi régulier et systématique de l’activité des utilisateurs de leurs applications ». En même temps les auteurs sont très nuancés. Ils avent que l’impôt devra rester modeste et ne saurait être un impôt de rendement (p.138). Ils reconnaissent que toute nouvelle fiscalité devra demeurer « neutre par rapport aux modèles d’affaires retenus…Elle doit être bénéfique aux internautes et non peser sur eux. Elle doit accompagner et favoriser le développement économique et l’innovation industrielle et non les entraver » (p. 130).
Le rapport Collin § Colin s’est prolongé du rapport de France Stratégie qui prône pour sa part des mesures plus précises tendant à l’imposition des entreprises du numériques en fonction du nombre de leurs utilisateurs, à la création d’une nouvelle taxe sur la publicité ou sur les revenus générés par les données stockées ou sur la collecte de celles-ci. Il préconise un taux faible et seulement au-delà d’un certain seuil.
Mais surtout ces rapports, qui s’accumulent comme pour préparer le terrain et les esprits, ne sont guère convaincants dans la mesure où l’objectif essentiel semble être de renforcer le pouvoir de l’Etat. Le rapport Collin et Colin conclut, sans guère d’argument que l’économie ne saurait créer d’emploi sans une politique industrielle volontariste. Mais en réalité, l’objectif est l’intrusion de l’Etat dans cette politique pour lui permettre de « générer les recettes fiscales nécessaires à l’accompagnement de cette transition par la puissance publique » (p.30). Il assure qu’il y a besoin d’accompagnement pour justifier qu’il faut le financer par la fiscalité sur l’économie numérique ! Au fond, l’Etat ne supporte pas que des entreprises puissent se développer sans lui. Il veut les contrôler, savoir, mesurer leur activité ; les flux de données et les flux monétaires. Et c’est une préconisation essentielle du rapport France Stratégie. Il veut plus de force pour l’Etat en évitant la concurrence avec les Etats voisins qui le mette à rude épreuve et il suggère de diminuer cette concurrence qui pourtant protège les contribuables comme la concurrence entre entreprises protège les consommateurs.
Des effets désastreux
Toutes ces propositions renchériront les services offerts sur la toile et pourront empêcher les plus pauvres d’y accéder. Ils renforceront la traçabilité de chacun de nous. Il ne suffira plus que les entreprises du numérique collectent nos données personnelles, l’Etat voudra le faire aussi au prétexte de nous protéger et de taxer dans notre intérêt. La réalité est que nous sommes, d’une certaine manière, libres d’accorder le droit aux entreprises du numérique d’utiliser nos données : nous donnons notre accord pour accéder aux services de tel ou tel opérateur. Apple par exemple indique dans ses conditions générales que l’utilisateur peut demander que ses recherches sur Safari ne soient pas transmises à Apple et celle-ci s’engage pour nombre de services à ce que les données utilisées soient dépersonnalisées. Tandis que nous n’aurons pas notre mot à dire quand l’Etat préemptera nos données et les utilisera sans notre accord et sans contrepartie. Big Brother ne chercherait-il pas à combattre le risque que représentent les grandes entreprises du numérique pour la liberté des citoyens que parce qu’il voudrait lui-même se servir des données collectées par ces entreprises pour enfler encore un peu plus, augmenter son pouvoir et sa surveillance de chacun ?
Le monde change
Le rôle de l’Etat n’est pas de contrôler la société, mais de permettre à tous d’y vivre au mieux et librement, de veiller à ce que la concurrence joue entre acteurs libres et responsables de telle façon que la concurrence fasse émerger, s’ils sont souhaités par les consommateurs, des opérateurs capables de mieux protéger les données, de les acquérir peut-être en échange de certains services payants.
Mais les mesures tendant à toujours plus de taxes et de complexité risquent surtout d’écarter un peu plus les opérateurs du numérique du territoire français. Pour les y attirer, il vaudrait mieux au contraire leur simplifier la vie et surtout éviter de les discriminer par rapport aux autres entreprises. Il faut s’interroger pour savoir pourquoi tous les grands groupes du numérique sont nés et prospèrent aux Etats Unis. Ca n’est pas parce que l’Etat s’occupe plus d’eux, mais parce qu’il s’en occupe moins. La France aurait plus à gagner à attirer les créateurs des services de demain en leur offrant, comme à toutes les entreprises, un cadre juridique et fiscal simple, sécurisé et attractif. C’est précisément ce qu’a fait l’Irlande où Google s’est installé avec 5 500 employés tandis que cette entreprise n’a en France que 500 employés !
Le monde change de modèle et il ne sert à rien de vouloir maintenir artificiellement les règles anciennes et désormais inadaptées. Il ne sert à rien de vouloir interdire UBER ou autres innovations sociales autant que techniques. Comme l’eau qui trouve toujours son passage, elles trouveront autrement le moyen de percer. Bloquer le progrès humain n’est jamais qu’un leurre mortel. L’Empire romain accéléré son déclin en multipliant les règlementations pour figer l’état des choses et la situation des hommes. La révolte des canuts de Lyon n’a pas arrêté la révolution des métiers Jacquard. La révolution numérique modifie le comportement humain et notamment celui de ceux qui sont à la manœuvre dans ce vaste mouvement dont nous sommes les témoins. Non seulement les gens travailleront différemment et vivront autrement à l’avenir, mais déjà il est étonnant de remarquer combien l’attitude des plus riches renverse les mentalités. Chacun connaît la légendaire générosité de Bill Gate dont les dons représentent environ la moitié de la fortune. Mais beaucoup d’autres nouveaux milliardaires suivent ce modèle, comme Pierre Omidyar par exemple, le créateur d’E-Bay, qui a déjà donné plus d’un milliard de dollars au travers de nombreuses fondations. Dans l’esprit de Steve Jobs, le fondateur d’Apple, son successeur, Tim Cook a aussi annoncé qu’il souhaitait donner quasiment toute sa fortune, soit près d’un milliard de dollars, à des charities. Et le tissu des entrepreneurs tout entier est à l’unisson. Une étude de Bank America de 2012 montre que 95% des foyers américains gagnant plus de 200 000$ par an et/ou ayant un patrimoine net de plus de 1M$en 2011donnet à des œuvres avec une moyenne de don de 53 000$ par foyer et par an représentant 8% des revenus.
La question se pose de savoir si désormais les gens ne sont pas enclins à donner moins à l’Etat et plus aux autres. Ils ne veulent plus être contraints, mais ils ne refusent pas de se tourner vers les autres. Au contraire peut-être, ils sont d’autant plus prêts à le faire qu’ils sont moins contraints par l’Etat. C’est une révolution plus profonde que toutes les autres et qui remet en cause la modèle étatique français. L’Etat devrait anticiper l’avenir plutôt que de courir après lui, faire évoluer ses objectifs, adapter ses moyens, donner plus d’espace aux individus et leur garantir une meilleurs sécurité plutôt que de vouloir tout faire pour eux et les diriger, changer de logiciel sans attendre de tomber en décapilotade en quelque sorte.
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