Le voleur de Maigret (1967)

Le voleur de Maigret (1967)

Le voleur de Maigret (1967)

Georges Simenon

Dialogue entre un producteur de films M. Carus et le commissaire Maigret :

• Dites-moi, M. Carus, je suppose que de jolies filles défilent quotidiennement dans vos bureaux. La plupart sont prêtes à tout pour obtenir un bout de rôle.

• C’est exact.

• Je crois qu’il vous arrive d’en profiter ?

• Je ne m’en cache pas…

• Même de Nora ? [ la femme de Carus ]

• Je vais vous expliquer… Que je profite de temps à autre, comme vous dites, d’une jolie fille, Nora ne s’en inquiète pas trop, à condition que ce soit sans lendemain.… Cela fait partie du métier… Tous les hommes en font autant, sauf qu’ils n’ont pas tous les mêmes occasions… Vous-même, commissaire…

Le commissaire le regarda lourdement, sans sourire….

Comme beaucoup d’autres hommes, M. Carus ne pensait pas que, plusieurs dizaines d‘années après avoir profité de ces jeunes filles, il serait accusé d’attouchements, de harcèlement, de viols, par celles qui étaient prêtes à tout jadis pour réussir grâce à lui et qui sont maintenant prêtes à tout pour le ruiner dans sa vie personnelle et sa carrière. Georges Simenon lui-même, qui affirmait avoir eu des relations avec dix mille femmes, n’y pensait probablement pas non plus. Même s’il y a eu des abus de la part de ces hommes, en particulier envers les très jeunes filles (Vanessa Springora avait quatorze ans lorsqu’elle a connu l’écrivain Gabriel Matzneff), ces femmes et leurs familles pouvaient dire non, et ne l’ont pas fait.

Les définitions de viol, de harcèlement, de violence ont complètement changé depuis quarante ans. Dans les années 1980, la gravité de la pédophilie était minimisée¹, et l’homosexualité, pourtant autorisée, réprouvée. Maintenant la première est très sévèrement réprimée et la seconde totalement normalisée. C’est un progrès évidemment positif. Mais le souvenir d’un évènement subi il y a plusieurs dizaines d’années n’est pas un témoignage totalement crédible.

Une femme ne peut nier sa responsabilité dans un acte auquel elle regrette d’avoir participé volontairement jadis. Si elle affirme y avoir été obligée, c’est un tribunal qui doit arbitrer, et juger suivant les règles de l’époque. Une sorte de huis clos devrait assurer la sérénité de la procédure, protéger la réputation des personnes mises en cause, afin d’empêcher la foule de hurler avec les louves pour participer à la curée. Ce n’est pas l’objectif des hystériques prêtes à tout, ni de journalistes à la recherche d’un buzz.