Le mythe de la justice sociale

Le mythe de la justice sociale

 

Tout au long de leur histoire, les hommes ont tenté de se protéger contre les aléas de l'existence.

Les progrès dans ce domaine ont été très lents et tardifs, simplement parce que pendant des siècles, le faible niveau de productivité permettait tout juste au plus grand nombre de ne satisfaire que leurs besoins vitaux de base, et ne leur donnait pas les moyens d'épargner au-delà.

On oublie toujours que seule l'amélioration de la productivité a permis l'élévation du niveau de vie et son corollaire  le progrès social. En effet, que la protection sociale soit le fait d'initiatives privées ou organisée par l'état, c'est en définitive l'adhérent de base ou le citoyen de base qui en supporte le coût. Ce n'est jamais, comme on voudrait parfois le faire croire, un cadeau venu d'en haut. Certains cadeaux  ont même été de vraies calamités ( la retraite à 60 ans et les 35 heures entre autres !!)

 

Il a fallu attendre la révolution industrielle du 19ème siècle et le décollage qu'elle a créé dans la productivité et donc dans le niveau de vie des pays occidentaux, pour voir s'instaurer un embryon de couverture sociale.

Les sociétés de secours mutuel étaient nombreuses et actives sous Louis-Philippe, et Frédéric Bastiat prédisait déjà le monstre qu'elles deviendraient lorsque l'état s'aviserait de les gérer.

 

En France, le grand départ de la couverture sociale a été 1945. Rétrospectivement, une bonne fée s'est penchée sur son berceau, car sans le boom des 30 glorieuses, un tel système aurait pu ruiner le pays. Encore une fois c'est la prospérité économique qui conditionne le social, mais en général on l'oublie.

Depuis 1945 la protection sociale s'est étendue à quasiment tous les aspects de la vie, à tel point que dans le contexte actuel de crise et de difficultés économiques, son financement est devenu de plus en plus difficile et accumule les déficits de façon inquiétante.

Le problème en France est que l'état décide à la fois des solidarités et couvertures à mettre en place, et de leur gestion. S'il ne gère pas lui-même, il impose ses décisions. (Par exemple: le SMIC)

Or ce n’est pas son rôle.

Dans une société efficace, la fonction essentielle de l'état n'est pas la satisfaction directe des intérêts de qui que ce soit, mais la réalisation de l'environnement dans lequel les individus et les groupes sont dans les conditions les plus favorables pour se fournir mutuellement de quoi satisfaire leurs besoins respectifs. (Frédéric Bastiat – vers 1845 – mais nul n’est prophète en son pays !!)

 

La protection sociale a pour but de répartir sur un grand nombre d'individus le poids des aléas ou accidents de la vie qui n'affectent que certains d'entre eux. Son moyen d'action est la redistribution.

On distingue deux types de redistribution:

-La redistribution horizontale, dans laquelle tous les bénéficiaires sont traités également, sans distinction de ressources.

Par exemple pour les prestations familiales et les remboursements de soins médicaux.

-La redistribution verticale, par laquelle on effectue sur les individus les plus aisés - ou considérés comme tels - les prélèvements destinés à venir en aide aux plus défavorisés.

 

Or l'état d'esprit le plus répandu, aussi bien dans les masses que dans l'élite dirigeante, fait qu'au nom de la « justice sociale », la solidarité tend à ne prendre que la forme de redistribution verticale.

Au nom de l’égalitarisme, le mot d'ordre est de « faire payer les riches ». Ainsi par exemple les dépenses de santé varient très peu avec les revenus, le paramètre le plus important, et de loin, étant l'âge.(un octogénaire dépense en moyenne 8 à10 fois plus pour sa santé qu'un jeune adulte.) Or les cotisations sont basées sur les revenus, et on parle parfois d'instaurer un ticket modérateur croissant en fonction des revenus. Ainsi les « riches » subiraient la double peine : plus de cotisations et moins de remboursements.

 

Une conséquence soigneusement occultée est que toute action de redistribution verticale appauvrit le pays.

La redistribution consiste, en langage populaire, à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Or parmi les milliers de Pierre qui en supportent le poids, certains hésitent à fournir l'effort qui pourrait leur apporter un revenu supplémentaire en pensant «à quoi bon, l'état m'en prendra l'essentiel ».

De même parmi les milliers de Paul qui bénéficient de la redistribution, certains renoncent à fournir un effort supplémentaire en se disant « on risque de baisser mes allocations. »

Ainsi aux deux bouts de la chaîne de redistribution verticale, des efforts, et donc des productions supplémentaires, sont perdus pour le pays qui est ainsi privé de leur valeur ajoutée.

En outre la complexité de gestion des nombreuses aides sociales nécessite une bureaucratie importante qui ampute encore le revenu disponible laissé aux citoyens.

 

La notion de justice sociale a pu étendre son emprise parce qu'elle a été intégrée par la plupart des partis politiques et des mouvements moralistes.

On cite souvent en exemple la solidarité des premiers chrétiens. Mais les premiers chrétiens pratiquaient la charité en partageant spontanément leur propre argent, alors que les apôtres modernes de la justice sociale distribuent autoritairement l'argent des autres. En outre la recherche obstinée de la justice sociale conduit à la dégradation des valeurs morales. En dénonçant les riches, ceux qui ont réussi, et en les livrant à la jalousie populaire, l'égalitarisme érige en vertu l'un des péchés capitaux : l'envie.

Or l’évangile dit exactement le contraire dans la parabole des talents. Le maître félicite et récompense les deux serviteurs qui ont fait fructifier les sommes qu’il leur avait confiées. Quant au serviteur qui s’est contenté d’enfouir la somme qu’il lui avait confiée, le maître lui prend cette somme pour la donner au serviteur qui a le mieux travaillé, et le maître le chasse et l’envoie en enfer.

Tout est dit dans cette parabole : Nous sommes sur terre pour la faire fructifier à la mesure de nos talents, nous n’avons pas le droit d’attendre quoi que ce soit du travail des autres.

L’évangile encourage et récompense qui produit des richesses – et peut ainsi pratiquer la charité volontaire.

L’évangile condamne implicitement qui reste stérile – et attend une part du travail fourni par les autres.

 

La justice sociale ne mériterait guère d'attention si elle ne faisait que rendre heureux ceux qui la professent. Mais elle sert surtout de prétexte à user de contraintes envers d'autres hommes. A ce titre elle constitue l'une des menaces les plus graves pour une société de liberté. Les peuples ont remis entre les mains de leurs gouvernements des pouvoirs que ces gouvernements emploient à tout propos pour satisfaire les revendications d'une foule toujours accrue d'intérêts particuliers qui ont appris à s'en servir comme d'un « sésame ouvre-toi ! »

 

La notion de justice ou d'injustice sociale part souvent de l'inégalité des salaires et revenus au sein de la société. Des sociologues sont même tentés de considérer que certaines activités revêtent une « valeur pour la société », et donc que leurs revenus soient déterminés en conséquence. En réalité, chaque activité n'a de valeur que pour ceux qui en bénéficient ou l'apprécient.

Les rémunérations que les individus et groupes reçoivent par le jeu du marché sont ainsi déterminées par ce que les services qu'ils proposent valent pour ceux qui les reçoivent, et non en référence à une fictive « valeur pour la société ».

On parle souvent de la primauté des biens culturels. Mais est-il moral d’amputer les revenus du postier, du boulanger ou du plombier, pour augmenter les revenus d’un acteur ou d’un directeur de théâtre ?

 

Si nous devions fixer ce que devraient être les rémunérations relatives d'un boucher, d'une infirmière, d'un mineur, d'un magistrat, etc...l'appel à la justice sociale ne nous serait d'aucun secours, et nous ne ferions qu'introduire des critères biaisés, en exigeant que les autres soient d'accord avec nos vues. De même, les grilles de rémunération mises en place par les pouvoirs publics sont souvent tout aussi arbitraires et contribuent à donner à ceux qui les subissent l'impression qu'ils vivent dans une « société bloquée » (d'où une partie du malaise de la fonction publique.). Rien ne serait pire pour le progrès d'une structure complexe comme la société moderne, qu'une échelle des rémunérations imposée par le pouvoir politique.

 

Fort heureusement pour la paix sociale, un certain degré de liberté subsiste dans l'entreprise privée.

Par exemple l'industrie du pétrole a une grille de classifications qui définit des salaires de référence. Mais ces salaires ne sont que des minima. Les salaires réels sont au moins égaux à ces minima, et le plus souvent supérieurs. Ce système donne à la hiérarchie suffisamment de souplesse pour récompenser l'employé zélé sans attendre qu'un poste se libère à la classification supérieure. D'ailleurs la plupart des employés et agents de maîtrise ont, au bout de quelques années d'ancienneté dans un poste, des salaires supérieurs au minimum de la classification suivante.

 

Les tenants de la justice sociale ne peuvent accepter l'idée qu'une société prospère, et dans laquelle les individus jouissent de la plus grande liberté, est une société basée sur la pratique du marché concurrentiel et de l' échange librement consenti et non biaisé. Ils ne peuvent admettre que la société dont ils rêvent serait un vaste camp de travail où chaque individu serait contraint d'effectuer une tâche décidée d'en haut, pour un salaire également décidé d'en haut.

Curieusement, les rémunérations des sportifs échappent à cette censure….. souvenir de « panem et circenses » ?

 

Une profession est déjà victime de ce credo égalitariste : les médecins généralistes du secteur 1. Ils sont tenus de respecter sur l’ensemble du territoire le barême unique imposé par la Sécu. Cela veut dire qu’ils accordent tous à leurs patients le même temps, qu’il ont tous la même compétence, la même efficacité, les mêmes charges de cabinet, de secrétariat, etc.…C’est totalement irréaliste. Comment peut-on encore parler d’exercice libéral de la médecine ? C’est une caricature !!. La vraie réforme serait que les barêmes de la Sécu soient des bases de remboursement, et non des tarifs opposables. La situation actuelle est conforme à l’égalitarisme forcené des Français. Il faut même s’attendre au pire : Las de subir des tarifs comparables au prix d’une coupe de cheveux, les médecins demanderont tôt ou tard d’être les salariés de la Sécu. Ainsi, ils pourront bénéficier des 35 heures, la qualité de la médecine sera un peu plus dégradée, et la France aura fait un pas de plus vers une démocratie populaire !!

 

L'inefficacité économique du communisme qui a conduit à la paupérisation de ses populations, puis à l'effondrement du système, n'a pas servi de leçon en France, où la pensée dominante, surtout à gauche, mais aussi à droite, reste imprégnée de marxisme. Comme on conçoit tout de même qu'une fixation généralisée des revenus par décision gouvernementale est impossible, le concept de justice sociale est utilisé pour parvenir au même résultat au moyen de la redistribution verticale.

 

Une preuve nous en est donnée par le discours sur les impôts, et notamment l'impôt sur le revenu.

Dans l'esprit de la gauche, mais aussi d'une large fraction de la droite, l'impôt n'est plus seulement le moyen pour l'état de couvrir des dépenses collectives. L'impôt est devenu investi d'une fonction « morale » visant à établir au sein de la société une répartition plus « juste » des revenus.

Nombre de nos dirigeants raisonnent comme si les revenus qu'ils considèrent comme élevés provenaient d'une sorte de manne divine, ou pire, étaient volés à d'autres. !! Leurs bénéficiaires doivent donc être punis, et l'impôt progressif et confiscatoire est fait pour remplir cette mission  de « justice sociale ».

On touche là au point crucial de la perversité que véhicule le mythe de la justice sociale.

Sous un abord altruiste, elle constitue en fait une menace grave sur l'avenir d'une société de liberté.

 

Depuis « la route de la servitude » (1944), Friedrich Hayek a remarquablement démontré comment l'aboutissement logique de la social-démocratie est le totalitarisme, à travers l'accroissement continu des prélèvements obligatoires sur la richesse produite par les citoyens, la part laissée à leur libre disposition se réduisant comme une peau de chagrin au fil du temps – et en raison des empiétements continus de l'état sur les libertés individuelles

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Un sursaut est-il possible ? étant donné l'état d'esprit égalitariste dominant en France, il ne se produira que quand notre pays aura touché le fond de l'abîme où le conduit la politique menée depuis plus de 30 ans, et qui ne cesse de s’aggraver

 

ANNEXE : Changeons un instant d’univers :.

 

Pour nous affranchir des notions de monnaie et de profit, considérons une communauté de moines dont l'objectif est de maximiser le temps consacré à la méditation et à la prière. Il n'existe pas d'activité plus désintéressée !

Or le Père Abbé devra se préoccuper de désigner un responsable du rucher, un responsable du potager, un responsable des tâches ménagères. Il sélectionnera donc ceux des moines qui lui paraissent les plus aptes à ces fonctions. Mais il ne les maintiendra dans leurs postes que s'ils prouvent leur efficacité – facilement mesurable par le nombre d'heures de prière de la communauté. Peut-être pourra-t-il les récompenser ou les inciter à mieux faire,( en leur accordant des indulgences....) Sinon il devra les révoquer.

 

Maurice Allais (Prix Nobel d'économie)

 

Ce texte est extrait du cours d'économie de l'école des mines de Paris (années 1950 - 60)

La vertu pédagogique de cette parabole prend toute sa valeur quand on sait que ce cours s'adressait en particulier aux ingénieurs-élèves du Corps des Mines, sortis dans les premiers de Polytechnique, et dont la carrière dans les ministères était tracée d'avance grâce au prestige de leur diplôme.

Raymond Croella septembre 2013

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