La Sécurite Sociale : Mythes et Réalités
Pour son troisième dîner-débat, le Cercle Frédéric Bastiat avait invité le docteur Claude Reichman, chirurgien dentiste, secrétaire général de l'une des deux fédérations françaises de dentistes, et ancien administrateur de la Sécurité Sociale, à nous parler de cette dernière. Nous savions qu'en dehors de sa vie professionnelle, Claude Reichman écrivait des pièces de théâtre et des romans appréciés par la critique, et nous pouvions donc nous attendre à un exposé de qualité. Nous n'avons pas été déçus : l'écrivain Hubert Monteilhet, qui nous honorait de sa présence, a rendu hommage à la clarté et à la précision de la langue utilisée par Claude Reichman.
Heureuse surprise, Claude Reichman s'est révélé être aussi un fin connaisseur de Bastiat. Pour lui, Frédéric Bastiat était un génie comparable aux deux autres grands penseurs que l'Aquitaine a fourni à l'humanité : Montaigne et Montesquieu. Nous découvrons aujourd'hui à quel point il était en avance sur son temps, et l'on peut penser que dans certains domaines il est encore en avance aujourd'hui, si bien que nos descendants l'apprécieront encore plus que nous.
Frédéric Bastiat avait décrit avec un siècle d'avance l'évolution probable des sociétés de secours mutuels vers la Sécurité Sociale, avec le gaspillage et la déresponsabilisation qui en résulteraient. Le dernier rapport de la Cour des Comptes sur la Caisse Nationale d'Assurance Maladie, dont les principaux extraits avaient été remis en début de séance aux participants, donnait divers exemples navrants de ce gaspillage, et l'on aurait pu passer la soirée à les multiplier. Claude Reichman, élevant le débat, s'est borné à montrer sur un exemple à quel point l'organisation privée de la médecine était moins coûteuse que son organisation par l'État ou les syndicats : si l'on prend pour base 100 le prix de revient d'une appendicectomie en clinique privée, ce prix de revient monte à 200 dans un hôpital de l'assistance publique, et à 300 dans un hôpital "à but non lucratif".
Un pouvoir responsable en tirerait tout de suite un enseignement : laisser se développer les cliniques privées. Le pouvoir réel fait l'inverse : il cherche à supprimer les cliniques privées pour éviter les comparaisons.
Si les soins publics reviennent plus cher que les soins privés, il en est de même du système d'assurance, puisque la Sécurité Sociale n'est rien d'autre. Dans toute société évoluée, les gens se prémunissent contre le risque maladie en contractant une assurance, auprès d'une compagnie d'assurance ou d'une mutuelle, la concurrence entre ces sociétés assurant leur efficacité. En France, tout salarié est contraint de passer par un monopole d'État verrouillé par des syndicats qui trouvent dans nombre d'emplois factices liés à l'institution la clientèle et les ressources qu'ils ne trouvent plus auprès des travailleurs (dont 9% seulement sont syndiqués aujourd'hui).
Le système est donc inutilement coûteux, mais ses dépenses sont couvertes par les prélèvements obligatoires. S'il paraît en déficit, c'est que l'État transfère au régime des retraites des ressources normalement destinées (sur la feuille de paye) au régime maladie (32 milliards en 1989 !).
Le déficit du régime de retraites est la rançon du système dit de répartition, dans lequel les personnes en activité paient pour les retraités. Il ne faut pas croire que dans un État qui se veut égalitaire cette répartition repose sur des critères transparents d'équité. Elle repose sur l'attribution régalienne d'avantages particuliers à telle ou telle catégorie socio-professionnelle, selon son pouvoir électoral ou l'idéologie d'un moment. Elle est considérablement affectée par la disparité des conditions de départ à la retraite engendrées par les multiples expédients utilisés par les gouvernements successifs dans le vain espoir de réduire le chômage (vain par ces méthodes, bien entendu).
On peut ainsi résumer la séquence implacable de l'irresponsabilité : parce qu'il dépense toujours plus, et qu'il n'ose augmenter les prélèvements au même rythme, l'État engendre l'inflation. Sur une existence, l'inflation est telle qu'elle décourage la préparation de la vieillesse par capitalisation. L'assurance vieillesse par répartition se prête à des redistributions inéquitables à la discrétion du pouvoir. La législation sociale, en encourageant les retraites prématurées, entraîne une diminution des recettes du régime des retraites et une augmentation de ses dépenses. Le déficit est partiellement comblé par l'Assurance Maladie, qui se trouve à son tour en déficit. Pour combler ce déficit, l'État a recours à des expédients pitoyables dont sont victimes les patients, les médecins, et l'industrie pharmaceutique, faute d'oser ou de savoir réduire les dépenses liées à l'inefficacité du système.
Si nous voulons inciter les hommes politiques à réformer le système, nous devons nous efforcer d'éclairer l'opinion publique sur les deux points suivants :
1. La Sécurité Sociale n'est pas gratuite. Comme Axel Arnoux nous l'a rappelé lors du dernier dîner-débat, le smicard, qui croit percevoir un salaire de base de 5219 Francs par mois, perçoit en fait 4284 francs et coûte à l'employeur 7301 francs. La différence, soit 3017 francs, somme exorbitante par rapport au salaire de base, constitue les prélèvements sociaux, dont la plus grosse partie, soit 2615 francs, va directement à la Sécurité Sociale.
2. La "Société Civile" est parfaitement capable de satisfaire le risque maladie. Claude Reichman cite en exemple le système de protection contre la maladie, pour les ouvriers et leurs familles, qui existait dans les usines Peugeot du Doubs à la fin du siècle dernier. Les ouvriers et l'entreprise cotisaient à une caisse qu'ils géraient conjointement, et dont les comptes étaient transparents. Pas un sou n'était gaspillé. La protection dont jouissaient les ouvriers et leur famille à l'époque, n'avait rien à envier à celle dont ils jouissent aujourd'hui.
Il est possible de responsabiliser le gouvernement, puis les individus, par des mesures de bon sens que seuls contesteront les groupes qui ont avantage à maintenir le statu quo :
1. Complète autonomie des différentes branches (maladie, accidents du travail, allocations familiales, vieillesse) les unes par rapport aux autres, équilibrage séparé de leurs recettes et dépenses, et publication séparée de leurs comptes.
2. Paiement direct aux salariés des prélèvements obligatoires (part patronale et part du salarié).
3. Liberté de rester dans le système actuel ou de le quitter.
4. Obligation de souscrire une assurance maladie et un capital retraite indexé (avec une couverture minimum définie par un contrat-type destiné entre autres à éviter la sélection des risques par les compagnies d'assurance).
5. Assistance directe et personnalisée aux personnes dans l'incapacité de souscrire une assurance.
6. Liberté d'installation des cliniques privées. Liberté des tarifs, des honoraires, et des prix des médicaments.
"Plus encore qu'économique, devait conclure Claude Reichman, la nécéssité de ces réformes est morale. L'État et la Sécurité Sociale infantilisent la société. Qu'on ne s'étonne pas de ne plus trouver nulle part de solidarité vraie, ni tout simplement d'intérêt pour autrui. L'individu est tout entier tourné vers la conquête de faveurs ou d'avantages qu'il veut soutirer à l'État ou aux organismes sociaux, croyant jouer un bon tour à ces monstres tutélaires, alors que ce faisant, il se coule dans le lit que les pouvoirs lui ont destiné. Il ne comprend pas qu'en dernière analyse, c'est à lui-même qu'il retire ces prétendus avantages. Car en augmentant un peu plus le montant des distributions, il augmente celui des prélèvements, et il pousse l'État à le priver du fruit de ses propres efforts, dont il ferait à coup sûr meilleur usage que celui qu'on lui ordonne, et dont il n'a souvent nul réel besoin.
"Or, je demande", écrivait Bastiat, "si à ces conditions une société peut exister ?" Il avait raison. Notre société, en tant que telle, n'existe plus. Seule la suppression de la Sécurité Sociale peut lui redonner l'humanité et la spiritualité sans lesquelles aucune société n'a la moindre chance de survivre.
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