La France, passager clandestin de l'Europe démocratique

La France, passager clandestin de l'Europe démocratique

 

J’ai écrit ce petit livre « Le Président absolu » entre les 2 tours de l’élection présidentielle, car il existe en France un réel malaise. La démocratie n’est visiblement pas la même ici que chez nos voisins.

Jean-François Revel en avait parlé en son temps, mais la question est revenue avec les Gilets Jaunes, et la série de condamnations à l’échelle européenne, morale certes, mais gênante.

Parler de la démocratie amène souvent à des débats philosophiques, sur un objectif que certains considèrent comme inatteignables, avec des positions extrêmes : c’est une démocratie, sinon c’est une dictature.

 

Quels sont les standards démocratiques chez nos voisins européens ? En fait il y a des critères simples qui construisent un équilibre. Les Anglais ont été les premiers dans ce système qui perdure jusqu’à nos jours.

En France, nous avons connu la démocratie, puis nous l’avons perdue.

Les éléments institutionnels démocratiques sont :

1/ séparation du rôle du chef de l’État, du rôle du chef du gouvernement.

Le chef de l’État est le garant des institutions, mais ne gouverne pas. Il est souvent élu au suffrage indirect, ou bien est souverain héréditaire.

2/ Le chef du gouvernement est l’émanation de l’Assemblée et gouverne.

Ce système binaire n’existe plus depuis 1958 et la Ve République. Théoriquement, le chef du gouvernement peut tomber sur une motion de censure du Parlement, mais cela n’est jamais arrivé sauf une fois, en 1962, contre Pompidou, mais elle a été balayée par la décision du Président de la République qui a alors dissout l’Assemblée.

Il y a deux Chambres en général dans un pays européen de taille moyenne. Une Chambre Basse qui s’inscrit dans le temps court, une Chambre Haute inscrite dans le temps long avec un mode d’élection indirect et mandat long.

En France, nous avons ces éléments constitutifs mais il nous manque les branchements démocratiques nécessaires :

La confusion chef d’État, chef du gouvernement est avérée chez nous quand le Chef d’Etat préside chaque semaine le Conseil des ministres. J-François Revel l’avait évoqué en 1990 en parlant de création d’irresponsabilité en cascade. En effet, normalement le chef du gouvernement est responsable devant le parlement, mais maintenant il n’en est rien.

A titre d’exemple comparons un cas italien et un cas français.

 

En Italie en 2016 avait été élu un Premier Ministre, Matéo Renzi, jeune politicien assez semblable à Emmanuel Macron. Pour faire entrer l’Italie dans la modernité, il a fait une réforme du Sénat. Ce Sénat représente la population mais aussi la complexité des territoires, c’est à dire, pour l’essentiel, la population non urbaine. Renzi a voulu arriver à une Assemblée collant tout simplement à la démographie. Mais le referendum nécessaire pour cette réforme a été négatif, ce qui a couté son poste à Renzi. Sa majorité a été balayée par une alliance droite-gauche qui a gagné grâce aux territoires périphériques visés par la réforme.

En France, Macron a voulu faire la même réforme que Matéo Renzi, en diminuant le nombre de sénateurs, ce qui entrainait la suppression de circonscriptions périphériques. Tout était prêt, mais est arrivée l’affaire Benalla et la réforme a été enterrée.

Emmanuel Macron a-t-il été sanctionné pour cette affaire ? Non.

Mais 3 mois plus tard, se déclencha de la révolte des Gilets Jaunes, c’est-à-dire de cette France périphérique visée par la réforme. Le gouvernement a accusé les extrêmes, gauche et droite, les Rouges-Bruns, c’est-à-dire ceux qui ont pris le pouvoir en Italie après la tentative de réforme.

 

Ainsi, en Italie, la soupape démocratique a joué, mais pas en France, en régime autoritaire. Car en France celui qui échoue reste à sa place, créant des frustrations qui amènent des gens dans la rue. Ceux-ci sont réprimés par la police, dans un schéma classique de régime autoritaire.

 

Pour qualifier notre régime, les politiques français parlent de régime semi-présidentiel. En réalité, c’est un régime hyper-présidentiel.

Si vous allez sur Wikipédia et que vous consultez la carte des régimes politique, vous constaterez qu’il existe 2 types de régime parlementaire, avec sur la carte 2 couleurs, pour distinguer la démocratie parlementaire et la monarchie parlementaire.

La France n’entre pas dans ces catégories et sa couleur est la même que des régimes autoritaires comme l’Algérie, la Russie, l’Égypte, qui sont des régimes où le pouvoir est entre les mains du président et où le parlement est une chambre d’enregistrement.

 

Ce problème existe depuis 1962, dans une France qui avait une culture démocratique, entre politiques, médias et peuple. Notre Constitution prévoit expressément que le Premier Ministre dirige le gouvernement. Mais elle a les éléments suffisants pour faire déraper le système et ses acteurs vers une culture politique nouvelle et de plus en plus autocratique autour du Président, sorte de trou noir qui attire tout ce qui gravite autour de lui.

Aujourd’hui, vous remarquerez que les questions que se posent les journalistes, traitent de l’opinion du Président, des projets du Président, de la stratégie du Président.

De même avant l’élection, les mêmes essaient de faire le portrait du Bon Président, exactement comme dans les royaumes d’antan, où l’on cherchait à définir ce que devait être « Le Bon Prince »,

 

Mais ce que l’Europe a compris depuis longtemps, c’est qu’il n’y a pas de Bon Prince, et que ce qu’il faut, c’est la séparation des pouvoirs. Le questionnement actuel sur le sujet nous fait retourner 300 ans en arrière. Personne ne parle plus du Parlement.

Mais, devant cette situation préoccupante, on commence à se poser des questions, en particulier sur la nécessité du scrutin proportionnel pour redonner du pouvoir au Parlement.

Il se trouve que les dernières élections législatives ont donné une assemblée assez conforme aux opinions des Français, montrant une intelligence collective comparable à celle des Gilets Jaunes. Les gens sentent qu’on les prive de démocratie et agissent en conséquence. L’élection du Président au suffrage universel lui donne le sceau du Droit Divin de nos anciens rois. Il n’est plus l’élu de Dieu, mais du Peuple, ce qui est presque la même chose. Il attire tout, les politiques, les fonctionnaires, les chefs d’entreprise.

Je pense à un ami qui était un spécialiste du gouvernement soviétique, un Kremlinologue. Eh bien maintenant tous les journalistes politiques sont devenus des Kremlinologues et étudient l’Élysée, source opaque du pouvoir.

La démocratie est un élément pacificateur des mouvements sociaux, une école de débat et de dialogue, ce dialogue dont on souligne l’absence en France. En polarisant la démocratie sur l’élection présidentielle, c’est à dire sur un pouvoir quasi-absolu, on habitue les gens à être sectaire, intransigeant, pour aider le candidat à acquérir ce pouvoir tant désiré, auquel on espère bien participer.

 

Pour sortir de cet état, il faut faire ce qu’a fait la Révolution, c’est-à-dire redonner le pouvoir au Parlement.

Le Serment du Jeu de Paume est un coup d’État, assez policé, mais quand même coup d’État. Le Parlement déclara que « le Roi, c’est Nous ».

C’est la seule chose à faire, en inversant 1958. En fait, le général de Gaulle avait fourni à ce moment une resucée des lois constitutionnelles de 1875.

En effet, l’Assemblée élue en 1871 était majoritairement royaliste, avec une grosse minorité républicaine. Un compromis fut obtenu, avec un Président de la République royaliste élu par les deux Chambres pour 7 ans, durée de vie estimée du nouveau Président. L’idée des royalistes était de le remplacer par l’un des leurs, au moment de sa succession.

Mais en 1877, une chambre à majorité républicaine fut élue. Mac Mahon nomma avec réticence un gouvernement républicain, puis le remplaça par un gouvernement royaliste. Il décida la dissolution, mais une nouvelle chambre républicaine fut élue. Mac Mahon s’inclina

En 1879, un républicain, Jules Grévy, remplaça Mac Mahon. Jules Grévy déclare alors qu’en vrai président républicain, il ne se mêlera pas du gouvernement, restera à l’Élysée, ne présidera pas le Conseil des ministres et ne se mêlera pas des actes du gouvernement.

En conséquence, la fonction de chef du gouvernement, Président du Conseil, non prévue par la Constitution se mit naturellement en place.

Jules Grévy ajouta qu’il n’utiliserait jamais son droit à dissoudre l’Assemblée, droit trop proche de la tradition royale.

C’est ainsi que la culture démocratique s’est mise en place en France. Deux présidents ont voulu dissoudre l’assemblée, sans y parvenir. Ce droit présidentiel est donc tombé en désuétude.

 

Sous la Ve République, le mouvement est inverse. En 1962, pensant ne pas pouvoir être élu au scrutin indirect, de Gaulle change la Constitution par référendum, s’appuyant sur l’Article 11, destiné à changer l’organisation des pouvoirs publics. Mais celui-ci ne permet pas de changer la constitution, contrairement à l’article 89 consacré à ce sujet, mais qui prévoit l’accord des deux Chambres, ce qui ne rassure pas de Gaulle.

Les démocrates parlent donc de forfaiture. Mention de censure déposée, dissolution de l’Assemblée et victoire du parti gaulliste aux élections. L’opposition s’efface alors puisque les Français ont voté. Le changement de Constitution est illégal mais en place.

C’est le début d’un régime plébiscitaire redouté par les républicains, le césarisme, où le peuple vote fréquemment et met en place un régime majoritaire où les minorités n’ont pas leur place.

Mitterrand, auteur du « Coup d’État permanent » aurait pu changer cette situation qui, de ses propres paroles « amènerait un gouvernement de technocrates ». Mais, arrivé au pouvoir, il a trouvé le système confortable, tout à fait à son goût, et ne l’a donc pas changé.

 

La solution pour rétablir l’équilibre des pouvoirs serait un second Serment du Jeu de Paume, mais l’Assemblée devrait passer constitutionnellement par un referendum, et non pas par un vote du Congrès. Si l’on proposait la suppression de l’élection du Président au suffrage universel, cela ne passerait pas auprès du peuple, satisfait de ce droit, car n’en percevant pas les dangers.

Il faudrait donc plutôt encadrer les pouvoirs du Président : il n’aurait plus le choix du Premier Ministre, ne présiderait plus le Conseil des ministres, n’aurait plus le droit de dissolution ni d’initiative référendaire.

Il s’agirait ainsi d’une mise aux normes des démocraties européennes.

 

Reste l’élection au suffrage universel du Président. Il y a une seule exception européenne, le Portugal, qui s’accommode depuis longtemps de l’élection directe, avec un Président non renouvelable et muni de faibles pouvoirs.

En France, on pourrait rester dans cette situation d’encadrement du Président, en se disant que l’essentiel est préservé, mais il suffirait d’avoir un Président ambitieux et manœuvrier pour le voir reprendre les rênes.

Pour éviter définitivement ce risque, on pourrait imaginer que les deux Assemblées se réunissent en Congrès, ce qu’elles n’ont d’ailleurs pas le droit de faire constitutionnellement, mais elles pourraient décider d’agir comme en 1789 contre le Roi de droit divin. Les Chambres se réuniraient sur un autre projet et profiteraient de cette réunion pour aborder le problème de l’élection du Président.

 

En passant, il se trouve que nous venons de vivre en cet été 2022, une période de vie démocratique normale, avec des parlementaires qui travaillaient, alors que le Président était en vacances. Celui-ci l’a senti et a repris la main. Pas question, hélas, de changer de système.

 

C’est pourquoi j’ai voulu écrire ce petit livre pour faire découvrir la racine de notre malaise actuel, afin que les gens puissent s’exprimer munis de bons arguments après avoir compris le glissement du système, et participer à la remise en place de l’équilibre démocratique.

Philippe Fabry

Compte rendu réalisé par nos soins.

Retrouvez la vidéo de cette conférence

 

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