Histoire de l'économie mondiale 1

Histoire de l'économie mondiale

des chasseurs cueilleurs aux cybertravailleurs

Conférence de Monsieur Jean-Marc Daniel là Dax le 9 avril 2022

Première partie

Le peuple anglais a marqué l’Histoire

Comme vous le savez, je suis ici malgré la SNCF.

A ce propos, je voudrais vous régaler d’une anecdote vécue.

J’ai participé récemment à un colloque en Suisse. J’arrivais à la gare de Genève, côté Suisse, où étaient affichés les horaires des trains vers différentes directions helvétiques. Je passe dans la partie française et regarde le tableau d’affichage qui indiquait 2 informations : « par suite d’un mouvement social, la direction Annemasse est annulée » / « suite à un incident technique, le train Lyon-Pardieu aura 28 mn de retard. »

En décembre dernier, mon train a été supprimé 12 heures avant le départ. Aujourd’hui, j’ai failli ne pas pouvoir venir car il y avait, parait-il, des tempêtes en Charente-Maritime. Impressionnant.

Je voulais aussi vous remercier de votre présence car je suis un voisin. J’avais un grand-père qui habitait dans l’Entre-Deux-Mers, en Gironde, et qui disait à son fils qui partait à Duras, en Lot et Garonne, pour affaire : « Tu ne vas pas aller à Duras, chez les Français. »

En effet, les Bordelais ont gardé une certaine nostalgie pour la Couronne anglaise, et cette nostalgie vous la retrouverez un peu dans mon livre « L’histoire de l’économie mondiale » et spécialement à cause d’un personnage exceptionnel, William Ewart Gladstone.

Pour sourire un peu, une anecdote sur Gladstone qui est une des raisons pour lesquelles on peut dire que c’est un personnage exceptionnel, en dehors du fait qu’il a fondé le parti Liberal et qu’il fut Premier Ministre en 1868, la même année que Disraëli.

Préoccupé par la liberté, qu’il associait au devoir, il entreprit de lutter contre les maisons closes. Malheureusement il fut surpris par des policiers dans l’une d’elles, protesta qu’il était en mission évangélique auprès des prostituées. mais la presse s’étonna de sa tenue assez légère au moment de la descente de police.

C’est ce type de situation qui fait que j’aime l’Angleterre.

Un livre intéressant ’’Anarchie’’ est sorti récemment et j’ai participé à sa présentation sur BFMTV. Il décrit comment les Anglais ont conquis l’Inde, en y organisant l’anarchie. Cela veut dire payer des gens pour qu’ils se révoltent, acheter des fonctionnaires, et faire se battre les autres à sa place. A l’époque, le chef de l’Inde, le Grand Mogol, fit venir Dupleix, grand ennemi des Anglais et, s’adressant à lui en français d’ailleurs, lui demanda de le débarrasser des Anglais, ces gens vils, querelleurs et fourbes. L’animateur de BFM protesta devant cette description des Anglais. Je lui dis qu’en fait, c’était un compliment.

Le lendemain, je reçus un coup de fil du conseiller économique de l’ambassade anglaise qui me dit : « Je confirme, c’est un compliment ! ».

En tout cas, le peuple anglais a marqué l’Histoire.

Histoire de l'économie mondiale

J’ai commencé ce livre sur l’histoire économique mondiale, en commentant dans l’Express un conte de Voltaire, paru en 1768, et réédité pour son cent cinquantième anniversaire, conte que je qualifiais de seul livre d’économie. C’était ’’L’homme aux quarante écus’’. Dans le récit, cet homme hérite de 40 écus et cherche comment les utiliser. Il demande conseil à plusieurs personnes, dont le ministre des Finances, qui est en réunion pour réfléchir aux moyens de faire rentrer les impôts. On lui conseille alors de mettre un impôt sur l’intelligence, que chacun voudra payer au taux fort. On ne connait pas la suite.

L’Homme aux 40 écus se détourne de cette piste et finit par demander à un personnage appelé le Géomètre, d’où vient la richesse. Celui-ci, après bien des circonvolutions, finit pat lui dire que la richesse vient du travail.

On distingue en conséquence deux types de personnes : ceux qui produisent, derrière la charrue ou le métier, et ceux qui s’emparent d’une partie de cette richesse produite. Ces derniers ont un froc, dit Voltaire, moines ou nonnes, et ne travaillent pas. Dans toute société on constate l’existence de ces 2 groupes sous une forme ou une autre. Mon éditeur a refusé d’appeler mon livre ‘’Le froc et la charrue’’ en suivant Voltaire. Une des raisons de ce refus : les jeunes connaissent peu Voltaire.

C’est donc devenu ‘’Histoire de l’économie mondiale’’ mais avec une grille de lecture empruntée à Voltaire.

C’est-à-dire que l’histoire de l’économie n’est pas marquée par la lutte des classes comme le dit Karl Marx, qui s’inspire de ce qu’il voit, c’est-à-dire le Royaume-Uni des années 1840, à un moment où le froc est en recul. Mais on y a compris la leçon de Ricardo qui conseille de se débarrasser de tous ceux qui vivent de la rente. La bataille aura lieu entre le travail et le profit.

Mais je pense que c’est un moment particulier de l’Histoire et que la lutte que Marx voyait entre le travail et le capital, est en fait entre le travail et la rente.

Dans mon livre je cite Voltaire, mais aussi Adolphe Blanqui, honnête homme, économiste, dirigeant de l’École commerciale de Paris. Il est moins honoré que son frère Auguste Blanqui dont le programme de gouvernement était de fusiller 10 000 personnes, de détruire toute forme d’intelligence et de société, et dont, par conséquence, on a donné le nom à de multiples rues et places. Il a même été député de Bordeaux, en fait de Talence, ce qui n’est pas la même chose, comme vous le savez bien.

En tout cas Adolphe Blanqui affirme qu’une société se caractérise par la façon dont des gens arrivent à soustraire le fruit du travail de ceux qui produisent.

Enfin, 3eme élément qui oriente mon livre, c’est ’’La grande évasion’ d’Angus Deaton, économiste écossais, élève de Cambridge et prix Nobel d’économie en 2015.

Il fait référence à un film qui décrit l’évasion d’un groupe de prisonniers d’un camp allemand et leur capture par les soldats allemands.

Angus Deaton explique que, comme les prisonniers, nous cherchons à nous évader de la misère, mais que, finalement, nous sommes tous repris, car il y a des gens qui accaparent la richesse, les bureaucrates. Il explique que, d’ailleurs, cela a toujours été comme ça.

Quand le chasseur-cueilleur essaye de se garantir des ressources moins aléatoires que la chasse, il devient agriculteur. Ceci augmente considérablement l’efficacité de son travail, ce qui inspire des idées à certaines personnes : l’efficacité augmentant, pourquoi moi, serais-je obligé de travailler ?

Il va donc voir l’agriculteur, et lui explique que, lui, peut l’aider, car il a des pouvoirs pour faire tomber la pluie, condition nécessaire aux bonnes récoltes, car, dit-il, je suis en connexion avec les dieux.

Il ajoute d’ailleurs, que si la pluie ne vient pas malgré mes relations, tu souffriras peut-être, mais les dieux te réservent le sort le plus doux car tu auras souffert. « Il est plus difficile à un riche d’entrer au paradis des dieux, qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille ; » En conséquence, je peux aussi t’aider, en acceptant un peu de ton argent, à faciliter ton passage au paradis après ta mort.

Ainsi une violence intellectuelle a permis l’accaparement des fruits du travail.

Mais la violence devient physique, par exemple dans le cas des 4 premiers rois de Rome : successivement 2 rois religieux, puis un roi guerrier, puis Ancus Marcius qui a l’idée de protéger le commerce en créant la prison, destinée à protéger la propriété et les produits des agriculteurs. Impôt contre service.

C’est à partir de ces éléments que je me suis embarqué dans l’Histoire de l’économie mondiale.

Mais j’avais deux autres sources :

1ere source : François Quesnay, économiste français du XVIIIe siècle, à la tête d’un groupe qu’on appela les physiocrates. D’ailleurs mon prochain livre sera à la gloire de ces économistes.

Ces physiocrates du XVIIIe avaient l’avantage de parler français, clairement. Ils expliquèrent que l’économie reposait sur 3 bases :

la concurrence,

le respect du paysan (sa formule était : « Pauvre paysan, pauvre royaume ; pauvre royaume, pauvre Roy ») Le véritable enjeu du Roy, de l’État, est de savoir se limiter dans ses ponctions sur le paysan. Car l’État doit rendre des services, en l’occurrence, protéger la propriété, sans que son coût pour le paysan soit trop élevé et l’empêche de bien produire…. pour l’État.

Enfin, l’idée communément admise était que la source de richesse était la terre : aliments, combustible, matériaux de construction. Ainsi Malthus explique que notre capacité de vie est limitée par les limites de la terre.

La source de richesse pour les physiocrates, en particulier pour Dupont de Nemours, n’est pas la terre mais le soleil. La terre produit effectivement des végétaux, mais elle le fait grâce au soleil.

Il existe un soleil d’hier stocké dans le charbon, comprimé pendant des millénaires, un soleil de demain par la sylviculture et l’agriculture.

Reste le soleil d’aujourd’hui. Mirabeau pose alors la question au grand savant, d’Alembert : « Le soleil d’aujourd’hui est toujours présent, et est inépuisable contrairement au soleil d’hier, d’ailleurs difficilement extractible et à celui de demain, limité par la surface cultivable. Pourquoi les physiciens n’arrivent-ils pas à l’utiliser plus convenablement ? » D’Alembert lui répond superbement : « Ceci sera fait dans un siècle. »

Pour revenir à la formule de Quesnay, "pauvre paysan, pauvre royaume, pauvre Roy", l’important est de savoir jusqu’où l’État peut aller pour capter la richesse du paysan, sans détruire le paysan.

2eme source : l’économiste allemand Adolph Wagner : il explique que le grand vainqueur de la révolution industrielle n’est pas la population, mais l’Etat. Il a une formule qu’on appelle la Loi de Wagner : « Plus la société se civilise, plus l’État devient dispendieux ». Ce qui signifie que la part des dépenses publiques dans le PIB augmente avec le revenu par tête. L’État dépense plus en infrastructures et en services, en particulier liés aux loisirs et à la culture, et en transferts sociaux.

Wagner a un long débat avec Leroy-Beaulieu, professeur de Finances Publiques à Sciences Po Paris, qui lui explique que la croissance ne nécessite pas plus de magistrats ou de policiers, bien au contraire, puisque moins de personnes seront tentés par la délinquance. La richesse engendrera des activités qui ne seront pas prises en charge par l’État.

Wagner lui répond qu’il n’a pas compris que l’État est là pour capter la richesse sous tous les prétextes possibles. En premier lieu la sécurité, d’abord avec la défense de la souveraineté, à travers des moyens militaires croissants qui le transformeront en employeur de dernier ressort, avec en prime la création de statuts particuliers.

En deuxième lieu, l’État se transformera en gestionnaire de l’oisiveté. Ainsi l’oisiveté moderne étant la fonction publique, on embauchera à tour de bras des fonctionnaires, dit Wagner.

Une anecdote en passant. Je connaissais le correspondant à Paris du Frankfurter Allgemeine Zeitung qui partait pour une autre affectation, qui me disait que j’étais l’un des seuls économistes en France hostile au déficit public. Il me proposa de déjeuner ensemble avant de partir. Au cours du repas il s’étonna que Mme Hidalgo, maire de Paris, soit en litige avec l’État sur les 35 heures. Elle est socialiste et devrait soutenir cet horaire pour ses employés municipaux, alors que l’Etat la pousse vers les 35 heures. Je lui demandais comment il interprétait cela. « Je pense qu’ils sont à 39 h et souhaitent les 35 h. » me dit-il. « Mais non-lui dis-je-ils sont tous bien en deçà ».

Dans ce domaine, Wagner dit que les ordres religieux ont bien gérés le problème de l’emploi : dans les périodes de baisse d’activité et de chômage, les Bénédictins proposent travail + prière, et en période de forte activité, arrivent les Franciscains qui ne font rien, sont pauvres comme Jésus, mais à qui l’on doit l’aumône.

Devant cet État vorace, les gens sont assez résignés. Des exemples nous sont donnés par les mémoires de Marco Polo dans son voyage en Chine.

Tout d’abord, quand il arrive à Pékin, il y a une grande fête pour la mort du ministre de Finances. Le Grand Khan Koubilaï lui explique que pour faire rentrer les impôts, il faut donner au peuple des satisfactions symboliques. Ainsi, de temps en temps, on tue le ministre des Finances et son corps est donné aux chiens dans l’allégresse générale. Le peuple est content et l’année suivante paie volontiers.

Par ailleurs Marco Polo veut savoir pourquoi les Chinois, si nombreux, ont été vaincus par les Mongols. Pour le comprendre, il faut remonter au temps des empereurs de la dynastie Song, toujours à court d’argent. Ils ont donc créé le papier monnaie, source d’inflation, ce fameux argent magique, destiné à payer les fonctionnaires. Entre le début de la dynastie Song, qui a mis en place le choix des fonctionnaires basé sur examens impériaux, et l’arrivée des Mongols, la population chinoise a triplé et celle des fonctionnaires a décuplé.

Ne pouvant pas tout payer, la Chine va diminuer ses dépenses militaires. La situation perdurera jusqu’au choc de l’arrivée des Anglais, qui battront des armées chinoises nombreuses, grâce à leurs fusils et leurs canons, alors que les Chinois, qui ont pourtant inventé la poudre à canon, se battront avec des arcs et des flèches.

Enfin Marco Polo remarque que les Chinois se chauffent avec une roche noire qui brûle. Mais le développement de ce charbon que Marco Polo découvre, est bridé par le fait que c’est un monopole d’État. Celui-ci cherche à en tirer le maximum de profit d’où la faible demande, donc la faible utilisation de cette roche.

Je cite aussi dans mon livre l’exemple de l’empire Inca, société socialiste où l’État gère tout, y compris l’oisiveté.

Chez eux, pendant votre vie, vous avez des périodes où vous travaillez pour l’État et d’autres où vous êtes libre. A 55 ans l’Etat vous donne les moyens de vivre sans travailler. A 70 ans, l’État vous donne le choix de disparaitre civilement ou d’être tué, car il n’a plus d’argent pour vous entretenir.

En conséquence, quand les Espagnols arrivent, ils voient un grand nombre de vieillards qui errent dans les forêts. Les familles, constatent les Espagnols, accepteraient de s’occuper des vieux, mais l’État-organisateur refuse car c’est lui qui veut et doit gérer cette oisiveté particulière.

A suivre... Histoire de l'économie mondiale. Des chasseurs cueilleurs aux cybertravailleurs Lire aussi " Bastiat 2022: idées libres de droits "

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