Grève des médecins Patrick de Casanove sur Atlantico
- Alors que la France fait face à une triple épidémie, les médecins, peu habitués aux mouvements sociaux, ont été appelés à faire grève. Le ministre de la Santé, François Braun, a d’ailleurs appelé les médecins à plus de « responsabilités ». Comment interpréter cet appel ? Est-ce un signe de désespoir pour alerter sur un système à bout de souffle ?
Il est exact que le système de santé Français est à bout de souffle. Pour mémoire les médecins Français ont déjà fait grève sous Jospin. J’en étais. La première réflexion qui me vint alors à l’esprit fut que je n’aurais jamais pensé qu’un jour les Généralistes feraient grève. Les motifs étaient les mêmes qu’aujourd’hui.
À l’époque leurs honoraires n’avaient pas bougé depuis 7 ans ! Nous avions monté des coordinations qui regroupaient des milliers de médecins parce que nous considérions que les syndicats ne nous défendaient pas. Aujourd’hui la grève est organisée par le collectif « Médecins pour demain ». Comme quoi rien n’a vraiment changé. Il n’y eut que quelques ajustements paramétriques qui ne réglèrent rien. D’où la situation dramatique du système de soin aujourd’hui et le mouvement de grève des médecins.
Oui il y a du désespoir. Il faut qu’il y en ait beaucoup pour que les médecins se décident à bouger. Les médecins sont peut-être enfin conscient qu’ils se heurtent à un mur. Qu’il se heurtent à une volonté politique inébranlable de les soumettre, parce que considérés comme inducteurs de dépenses inconsidérées.
Alors l’appel à la responsabilité dans un système où, depuis sa création, médecins et patients sont déresponsabilisés à longueur de journée et soumis aux décisions de l’État, montre que Braun n’a rien compris et que le gouvernement se défausse.
- Cet appel à la grève est-il annonciateur d’un conflit social généralisé ? Comme le canari qui périt dans une mine, est-ce le signe d’une explosion à venir ?
C’est possible. Il y a beaucoup de mécontentements, totalement justifiés, dans notre pays. Vous parliez de désespoir. Cela n’était pas le cas en 1945, au contraire. Les Français sortaient d’une terrible guerre étrangère, doublée d’une guerre civile. Ils avaient un grand espoir, une grande foi envers la science, la médecine, ils étaient convaincus que l’avenir serait meilleur et que leurs enfants auraient une meilleure vie qu’eux .
Ce n’est plus le cas. Je crois que de plus en plus de Français sont désespérés. Les Français ne croient plus en la science, la médecine s’est décrédibilisée, on pourrait même dire déshonorée. Depuis le 1973, premier choc pétrolier, la société française a continué à se déliter. Chaque gouvernement continuant avec obstination la même politique délétère que son prédécesseur avec quelques changement de paramètres mais sans changement de fond, ni sans réflexion de fond non plus. Il faut bien constater que depuis Pompidou les Présidents successifs ont été de pire en pire. Avec Hollande nous pouvions croire avoir touché le fond. Malheureusement Macron creuse !
Depuis plus de deux ans Macron gouverne par la peur. La gestion catastrophique des COVID par la peur, enfermement, coercition sociale, crise économique, inflation, vaccination de masse obligatoire, la peur du dit "dérèglement climatique", la peur liée à la Guerre en Ukraine, à la pénurie énergétique artificielle, sont très anxiogène. Le climat est déprimant, désespérant. Depuis cette période l’économie française a continué à se délabrer, à grande vitesse, inexorablement. C’est pire que la fin de l’abondance, c’est la crainte que la prospérité n’existera plus et que beaucoup auront une vie de misère.
Quand des gens sont désespérés et n’ont plus rien à perdre, qu’ils considèrent leur situation comme bloquée et sans issue, alors oui la révolte, ou la révolution violente peuvent survenir.
Augmentation du prix de la consultation, rendre le métier plus attractif … Au-delà des revendications, quel est le véritable problème de fond dans le secteur de la santé ?
L’augmentation du prix de la consultation revient systématiquement à chaque conflit, rendre le métier plus attractif aussi.
Les ennuis de la Sécu ont débuté peu après sa création. En 1952 Antoine Pinay, à cause des grandes difficultés de la France (déjà), avait préparé les textes d’une réforme de la Sécurité sociale. En 1957, M. Gazier, ministre des Affaires sociales de l’époque, doit préparer un projet pour maîtriser les dépenses de santé en augmentation continue. De 1967 à 2004 se sont succédé 21 plans de redressement. Depuis 2004 on ne compte plus ! Tous ont été des échecs. Parce que tous gardent et aggravent une logique collectiviste.
Le plan Rueff qui a lancé la France dans une période de prospérité a été adopté en 1958. Les progrès de la science et de la médecine furent remarquables. Or la Sécu continuait a avoir des difficultés financières. À l’époque il n’y avait pas de chômage. Les difficultés sont bien structurelles et non conjoncturelles, manque de cotisants par exemple. Les défauts structurels, « techniques » pourrait-on dire, sont connus : spoliation légale, double paiement pour un seul service (Sécu plus mutuelle), perte du libre choix et déresponsabilisation des individus, fraudes inhérentes, déconnexion des recettes et des dépenses, disparition de l’information des prix, pyramide de Ponzi, obligation de payer pour travailler, confiscation première et obligatoire des revenus (URSSAF), objectifs politiques et achat de voix, etc.
Il faut remarquer que, dès le départ, le prétexte à réformer est un problème comptable. Ce problème « matériel » a été pour l’État le prétexte à intervention accrue pour non pas mieux soigner les gens mais « sauver la Sécu ». L’État prétendait que les difficultés étaient liées au fait qu’il ne contrôlait pas tout, et que ce qui lui échappait était la cause des difficultés. Pour tout contrôler il s’est introduit de plus en plus profondément dans la relation soignant/soigné, médecin/malade, pour au final en maîtriser tous les tenants et les aboutissants.
Pour faire des économies, pour une gestion comptable, l’État à réduit l’offre de soins : numerus clausus, fermeture de lits, de services, de petites structures. Ce n’est pas une gestion libérale. Le libéralisme repose sur le service rendu à autrui, la concurrence et un prix libre. Si le rapport service/prix ne convient pas les parties ajustent les paramètres en toute liberté.
Les pénuries dans le système de soin, les déserts médicaux étant la plus connue, ne sont pas un hasard. Elles sont le fruit inévitable d’une économie administrée, collectivisée. Socialiste dirait Bastiat. L’État, par la spoliation légale, capte les ressources, les confisque aux Français qui n’ont plus les moyens de décider ni de choisir. L’information par les prix disparaît. Suite à cet appauvrissement des Français seul l’État peut payer. Il paie et dit protéger. Or qui paie commande.
L’État a ses intérêts propres. Fort logiquement il a étouffé les deux partenaires du colloque singulier. Le médecin, comme le patient, doivent passer sous ses fourches caudines et suivre les directives étatiques. Le matérialisme comptable a détruit l’humain et l’échange libre de services.
- Dans quelle mesure les réformes menées depuis les années 90 destinées à contenir le déficit de la sécurité sociale sont-elles responsables de la situation actuelle ? La clé pourrait-elle être de donner plus d’autonomie aux acteurs du système de santé ?
Aujourd’hui les médecins sont contraints à la fois par la législation et par le tarif administré de la consultation, disons de l’acte médical au sens large. Ce tarif est un forfait avec lequel le médecin doit se débrouiller. Ce tarif est déconnecté des qualités, savoir, dévouement, expérience du médecin et du service qu’il rend réellement. « Bonjour comment allez-vous ? Bien. Imprimer ordonnance » sera rémunéré autant qu’une consultation longue et/ou difficile, où le médecin devra exprimer tout son art. Ce tarif ne lui permet pas de disposer d’un cabinet médical véritablement opérationnel pour le médecine du XXIème siècle.
Ce qu’il faut c’est la liberté du prix des services rendus et de l’organisation du cabinet médical. La liberté économique rendue aux médecins leur permettraient d’organiser librement leur travail et leur cabinet médical. Le médecin doit pouvoir disposer de tout son temps médecin. Diagnostic et initiation d’un traitement lui sont spécifiques. Le temps administratif revient à son secrétariat. Le temps renouvellement, suivi des patients chroniques à ses assistants formés. Un assistant formé peut réaliser un examen standardisé pour le suivi simple d’un patient, ou réaliser un examen pour une aptitude sportive. Quand j’étais externe c’est nous qui les faisions.
Le médecin pourrait également prendre en charge d’avantages de pathologies car aidé et disposant des locaux et matériels nécessaires. Il ne serait plus un simple orienteur. « Gate keeper » comme disent les anglo-saxons.
Ce serait un véritable médecin de premier recours, clé de voûte du système de soins. Il pourrait disposer, s’il le souhaite, d’un équipement technique performant et de l’aide d’assistants formés. Bien entendu chaque prestation rendant un service spécifique aurait un prix spécifique.
Il faut le salaire complet, le libre choix du médecin pour son mode de fonctionnement et pour le patient le libre choix du service rendu. L’État se charge d’un filet de sécurité, comme dit Bastiat, pour faire face aux accidents de la vie. Il pourrait prendre la forme d’un chèque assurance santé pour les plus démunis pour qu’ils puissent choisir et être responsables de leurs actes. Les pauvres peuvent choisir et diriger leur vie. Les priver de cette possibilité, parce qu’ils sont pauvres, est une insulte à leur dignité. Le système de couverture comprendrait un compte épargne santé transmissible et au-delà d’un certain seuil une assurance santé en libre choix. Chacun retrouve la responsabilité de sa santé.
Il faut aussi un contexte favorable c’est à dire la prospérité économique et une énergie abondante fiable et bon marché. Il est important d’avoir conscience que les immenses progrès sanitaires que l’humanité connaît depuis plus d’un siècle, sont autant dus à l’amélioration des conditions de vie, de l’hygiène et de l’alimentation, qu’aux progrès des connaissances et des innovations médicales. Il est erroné de croire qu’un système de santé performant pourrait survivre à la décroissance.
Article paru sur Atlantico : " Grève des médecins : le canari annonciateur de l’explosion dans la mine des technocrates français ? " avec Patrick de Casanove et Jean-François Amadieu
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