D'apprenti à chef d'entreprise

D'apprenti à chef d'entreprise

Par Serge Vin

 

Préambule :

 

D’où parlez-vous ? Un professeur de la faculté de Bordeaux m’a demandé un jour d’où je parlais après avoir répondu à l’une de ses questions. Passé l’effet de surprise, avec le temps, je me suis toujours efforcé de répondre à cette question pertinente. Pour le sujet d’aujourd’hui cela me semble nécessaire.

Après une formation technologique je travaille dans plusieurs entreprises en Lorraine. Puis intègre le Centre de Formation pour Apprentis du Bâtiment et des Travaux Publics (CFA BTP) de Pont à Mousson en qualité d’éducateur. Trois années plus tard je postule et arrive dans les Landes au CFA BTP de Morcenx où je prends des responsabilités dans l’un des plus petits CFA BTP de France, qui risquait de disparaître. En plus de mes fonctions d’adjoint de direction il m’est demandé de promouvoir les métiers du BTP et l’apprentissage auprès des entreprises artisanales et des jeunes.

15 années plus tard, souhaitant rester dans les Landes, j’intègre la chambre de métiers et de l’artisanat des Landes en tant que Directeur de l’apprentissage. En fin de carrière mon territoire se développe et s’étend des Landes aux Pyrénées Atlantiques.

En parallèle, pendant deux mandats, je suis conseiller municipal de ma commune puis 1 er adjoint, et conseiller communautaire, membre des commissions développement économique, culture et routes.

A ce jour je mets en œuvre l’accompagnement à la reconversion professionnelle des joueurs de rugby professionnel, et de leur compagne, au sein de l’US Dax Rugby Landes et dans ce cadre anime une commission intitulée Rebond40 depuis septembre 2023. Cette action se développe avec l’extension ce printemps au rugby amateur du club avant une possible extension à l’omnisports.

35 années d’expérience au contact des entreprises artisanales, des jeunes et des institutions avec la mise en œuvre de nombreuses actions de promotion, me permettent de vous retracer le fruit de mon expérience de terrain, en me plaçant dans le vêtement de travail d’un artisan du bâtiment. Ces écrits n’engagent que moi, se voulant objectifs et positifs.


 

D'apprenti à chef d'entreprise
 

Il est 21 h 00. Frédéric lit le compte rendu de la situation financière de son entreprise transmise par son comptable. Les premiers mois de la reprise de l’entreprise à son maître d’apprentissage, il en avait des sueurs froides. Les crédits, auxquels s’ajoutent les charges, les cotisations, les taxes, les salaires, les retards de paiement, pourra t’il tout assurer ? Et c’est comme cela tous les mois. L’achat de l’entreprise et les investissements étaient nécessaires pour réaliser son projet d’être chef d’entreprise, son rêve depuis longtemps, depuis le début de sa formation, comme son maître d’apprentissage.

La journée n’est pas terminée il faut préparer les chantiers de demain. Penser à l’approvisionnement, espérer que tous les salariés seront présents. Son équipe est soudée, motivée, où se mêle jeunesse et expérience. Tous se connaissent depuis longtemps, certain depuis leur apprentissage, la solidarité effective. Mais Frédéric n’est pas à l’abri d’une absence, d’une démission, car pour son entreprise de 4 salariés un absent représente 25% de l’effectif. C’est une des deux équipes qui sera bancale. Difficile de trouver un intérimaire disponible, un demandeur d’emploi compétent et s’intégrant à l’équipe. C’est soit un retard pour un des chantiers, soit lui-même qui viendra en renfort repoussant son travail administratif qui se fera en soirée et le week-end. Il pourrait embaucher un ouvrier supplémentaire ou former un autre apprenti ? Se pose alors la question toute pragmatique de l’achat d’un autre véhicule pour déplacer tous les ouvriers sur les chantiers, de constituer une autre équipe, d’augmenter le chiffre d’affaires car il y aura un nouveau salaire à verser, donc d’effectuer d’autres devis, de répondre à des appels d’offre. Ce travail supplémentaire l’éloignerait encore plus de son métier initial pour passer plus de temps sur le volet administratif, la gestion financière, la gestion des ressources humaines, la communication. C’est bien un second métier que celui de chef d’entreprise en plus de celui de charpentier. Il a déjà évoqué ces questions avec son comptable qui reste très prudent et l’encourage … à ne rien changer. C’est peut-être cela le rôle d’un comptable. Celui qui doit prendre les risques et les décisions est le chef d’entreprise, d’où les sueurs froides de temps en temps. Frédéric a été étonné de la remarque d’un agent de la chambre de métiers suite à la signature, puis deux mois plus tard, à la résiliation d’un contrat d’apprentissage. Frédéric s’étant ému que son comptable lui facture 400 € à chaque démarche administrative. Alors qu’à la chambre de métiers le coût est de 70 € pour une démarche identique. La réponse spontanée de Frédéric étant que son comptable était un ami, l’agent de lui répondre qu’à ce prix il serait volontiers son ami. Le paradoxe étant que le comptable s’adresse à la CMA pour obtenir les documents, contrat et résiliation, et facture une prestation déjà réalisée, comme si le coût de celle-ci était un gage de qualité ou de sécurité. Diminuer les charges est un leitmotiv récurent des chefs entreprise, alors pourquoi payer aussi cher une prestation déjà réalisée.

Il aide un de ses salariés qui connaît des difficultés familiales. Le guider dans ses démarches administratives pour trouver un logement, ses contacts avec le fournisseur d’énergie, la régie des eaux, de connexion à internet. Si son ouvrier passe beaucoup de temps sur un écran, pour autant les compétences nécessaires aux démarches administratives ne sont pas les mêmes. Il est perdu dans les méandres des plateformes et applications diverses.

Il a organisé le trajet d’une équipe pour récupérer son salarié matin et soir à proximité de son domicile le temps pour lui de trouver un moyen de locomotion. Il pense lui acheter un cyclo moteur et se renseigne sur les occasions possibles et leur coût. Cet accompagnement est nécessaire s’il souhaite qu’il reste dans l’entreprise. Ce n’est pas la première fois qu’il aide ainsi un salarié ou un apprenti car la difficulté à recruter, à fidéliser ses salariés malgré des salaires conformes aux grilles de salaires de la convention collective, des primes, et des avantages comme la prise en charge de la mutuelle par exemple, lui font endosser un rôle d’assistant social. Son expérience de plusieurs situations identiques lui permet de connaître les différents services sociaux du département.

Frédéric a lu récemment que son prénom est composé du germanique frido «paix », et de rik «chef », littéralement « roi pacifique ». Cela l’a fait sourire et trouve que ce prénom lui correspond bien. Tout de même nous sommes loin du temps où l’apprenti payait son maître d’apprentissage afin qu’il lui apprenne son métier ou que l’apprenti accomplissait un voyage en solitaire. Dans les corporations de métiers, une vielle coutume dite du tour de France s’inspire de la même philosophie : pour acquérir leur droit à la maîtrise, les apprentis devaient partir sur les routes, le baluchon sur l’épaule et traverser l’Europe en louant leur service d’étape en étape. Une véritable initiation identique aux Indiens d’Amérique dont les jeunes désireux d’accéder à l’âge adulte devaient quitter leur tribu et accomplir un voyage en solitaire, en survivant eux aussi par leurs propres moyens. De nos jours les voyages se font à un âge plus avancé sur les chemins de St Jacques par exemple.

Il est en contact avec la chambre de métiers et de l’artisanat et reçoit les publications qui proposent des accompagnements dans différents domaines. Il a suivi des formations en gestion, en ressources humaines, en communication et des mises à jour pour gérer son site internet car il faut être présent sur les réseaux sociaux afin de se faire connaître, même si le bouche à oreille fonctionne toujours très bien et reste la principale source d’information et de bonne image de son entreprise. Les conseils des agents de la chambre de métiers sont avisés, pertinents. Son réflexe naturel est toutefois de contacter son comptable qui le suit depuis ses débuts pour toutes questions liées à la gestion financières, aux investissements et à l’embauche de salariés et d’apprentis. Ils se connaissent bien, discutent librement même s’ils ne sont pas toujours d’accord. Ils se sont même fâchés parfois mais pas question de changer de comptable il connaît trop bien l’entreprise, c’est un membre de la famille. A la chambre de métiers les agents changent de plus en plus souvent pour répondre à un besoin ponctuel, avec des actions financées par le département, l’état, la région et maintenant par l’Europe mais avec des exigences administratives très importantes. Il est nécessaire de justifier du bon emploi des subventions, alors les justificatifs se multiplient à tous les niveaux.

Frédéric a participé à des réunions de sa chambre de métiers le soir après sa journée de travail. Il a appris que la loi créant les chambres de métiers a été votée le 26 juillet 1925 il y a presque 100 ans, à l’initiative du député Joseph Courtier avec pour objet « de donner aux professions des organes leur permettant d’exprimer officiellement leur avis sur les sujets qui les concernent ». Le décret d’application est publié le 14 avril 1928. Les deux premières chambres de métiers sont créées le 31 décembre 1929. Il s’agit de celles de la Haute-Marne et de la Seine Inférieure. Créations suivies de nombreuses autres dans chaque département. Aujourd’hui ce sont 1 830 000 entreprises, 3.1 millions d’actifs dont 23 % de femmes. Il s’agit bien d’un décret d’application. A contrario un décret peut dissoudre les chambres de métiers. Qui se battrait pour les conserver ? Personne, pas même les artisans. Lors de la bataille du taux de TVA pour des travaux de bâtiment chez les particuliers la profession avait peu mobilisé. Ralentissement de la circulation à certains ronds-points d’accès aux principales grandes villes du département pour distribuer des tracts de 7 à 8 heures du matin aux salariés se rendant sur leur lieu de travail. Pour les artisans, fin de la manifestation à 8 h, car il ne fallait pas prendre de retard sur les chantiers en cours. Une heure de manifestation. Cela laisse songeur. Alors pour défendre leur CMA combien de temps y consacreraient-ils ? Les agriculteurs sont plus solidaires et leurs actions portent leurs fruits. Dans le monde consulaire ils sont à part. Seuls étaient et sont toujours concernées par un projet de fusion, les chambres de métiers et de l’artisanat et les chambres de commerce et d’industrie. L’artisan est individualiste, solitaire, libre de ses choix, avec ses avantages et ses inconvénients. Il le déplore parfois mais paradoxalement ne donne pas le poids à ses représentants professionnels ou consulaire de porter haut et fort ses revendications et préoccupations. Pourtant un ancien président de chambre de métiers, puis de l’Assemblée Permanente des Chambres de Métiers, l’instance nationale, avec 27 d’expérience de cette institution, est devenu ministre délégué aux Petites et Moyennes Entreprises. Durant 5 mois. Seulement. C’était l’occasion idéale qu’enfin au plus haut sommet de l’État l’artisanat soit représenté. Mais la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) transmet au procureur de la République un signalement pour un possible abus de confiance car les déclarations de situations patrimoniales et d’intérêts ne sont ni exactes, ni sincères. Il se voit reprocher de s’être vu confier sur un plan d’épargne en actions personnel 130 000 € provenant de la cession de parts d’une société civile immobilière détenues par la Confédération Nationale de l’Artisanat des Métiers et de Services.

Frédéric a été étonné de décisions votées au niveau national ou régional prises par les chambres de métiers n’étant pas appliquées ou freinées localement par ses mêmes élus ayant participé au vote. Par exemple il a été demandé de remonter au niveau national des éléments chiffrés de l’activité des chambres de métiers et des moyens dont elles disposaient. Cela a été très compliqué d’autant qu’aucun logiciel informatique commun n’était utilisé, chacun souhaitant garder son prestataire. La consolidation des résultats pouvait démontrer la force du réseau. Le poids de l’artisanat est important, désunis il est inexistant. Ces contradictions et positionnement politique font que Frédéric s’est éloigné de la chambre de métiers et il n’est pas le seul. Lors des élections des chambres de métiers à peine 10 % des artisans avaient votés. Ce faible taux de participation ne donne pas le poids et la crédibilité nécessaire à cette institution. Peut-être les syndicats professionnels sont-ils plus incisifs dans la défense d’une corporation que les chambres de métiers qui réunissent quatre secteurs d’activité que sont le bâtiment, les services, l’alimentation et la production représentant 250 métiers mais avec des préoccupations différentes.

Frédéric se souvient de son insouciance quand il était apprenti, loin des soucis quotidiens d’un artisan. Il avait dû batailler pour devenir apprenti. Sa professeur principale, en charge de l’orientation, souhaitait qu’il continue ses études et s’oriente vers un lycée d’enseignement général. « Tu verras après le bac » disait-elle. Le stage de troisième effectué au sein d’une entreprise artisanale locale qu’il connaissait l’avait convaincu de commencer sa formation de charpentier après la troisième. L’odeur du bois, le dessin d’une charpente, construire du neuf, rénover, bref un métier varié, au grand air après avoir préparé les différentes pièces de la charpente à l’atelier. De plus un premier salaire à 16 ans. Il pourra s’acheter la « moto » de 49.9 cm 3 dont il rêve, faire des cadeaux à ses parents et économiser pour passer son permis de conduire. Une vraie fierté de ne plus dépendre de l’argent de poche donné par ses parents. Un premier pas vers l’autonomie.

Le conseil de classe avait émis un avis défavorable à sa demande d’apprentissage et ses parents avaient été convoqués par le principal du collège afin de les convaincre d’accepter l’orientation vers la voie générale. Trop bon élève pour s’orienter vers une filière professionnelle, même en lycée professionnel et surtout pas en apprentissage. Après les vacances d’été, Frédéric et ses parents signaient le contrat d’apprentissage de deux ans en CAP charpente chez l’artisan qui avait accueilli Frédéric en stage. Il lui sera possible d’en signer d’autres afin de passer les diplômes lui permettant de valider son évolution dans la pratique du métier et prendre des responsabilités au sein de l’entreprise. Il avait appris que sa professeur principale avait fait ses études au sein du collège où elle enseignait. Elle y était revenue après ses études au lycée et à la faculté, avait effectué des stages d’observation au sein d’entreprises locales, sans mettre la main à la pâte, respecter les horaires de travail des salariés, se lever tôt tous les matins, travailler par tous les temps, seulement en écoutant un des responsables lui présenter l’entreprise et ses activités. Pour s’occuper d’orientation, mission d’un professeur principal de collège, les a priori ne sont pas bons conseilleurs, ainsi que le manque de connaissance des métiers, de leurs réalités quelques fois rude bien sûr, mais la fierté éprouvée d’un travail réussi, devant lequel on passe parfois, la satisfaction d’un client, font oublier les difficultés rencontrées. Certains, le plus grand nombre des enseignants, viennent se renseigner et accompagnent le choix du jeune en utilisant les dispositifs et actions existantes.

Le principal du collège avait pour consigne de son administration d’orienter un maximum d’élèves vers les filières générales. De cela dépendait ses primes et prochaines mutations. Le plus décevant de cette situation étant que le choix du jeune et de sa famille ne soit pas entendu, respecté. Des passerelles existant pourtant en cas de changement d’avis du jeune, il lui est possible de réintégrer un lycée. Théoriquement. Cela n’étant que peu utilisé, connu, promu. J’ai souvent entendu que l’élève était au cœur du système, des préoccupations. J’ai souvent constaté que le système s’auto protégeait afin de conserver des postes d’enseignants.

La première orientation se prépare en classe de troisième et le regard des collégiens en direction des camarades s’orientant vers les filières professionnelles est important à cet âge. Si de plus le discours d’un enseignant est orienté, manque d’objectivité, les dégâts seront importants. Frédéric a accueilli un futur apprenti de 21 ans qui lui a dit qu’il avait fait plaisir à ses parents et à ses enseignants en passant son baccalauréat et une licence, il souhaitait maintenant apprendre le métier dont il avait toujours rêvé. Il fera partie certainement des futurs créateurs ou repreneurs d’entreprises.

Un de ses collègues artisan avait eu un parcours particulièrement réussi. Pourtant les obstacles étaient nombreux, qu’il a franchi à son rythme. Marocains, ses parents sont venus travaillés en France. Dyslexique, connaissant des difficultés scolaires, Vincent avait été orienté à 15 ans vers une classe préparatoire à l’apprentissage en choisissant le métier de peintre. Là, pas de soucis d’orientation et pas de convocation du principal de collège. Trop content de lui trouver une solution vers la voie professionnelle. A la fin de l’année scolaire de pré-apprenti il confirme cette orientation en signant un contrat d’apprentissage. Durant sa scolarité il lui est proposé, ainsi qu’à d’autres apprentis, de participer à un projet pédagogique. Il a été le seul volontaire pour intégrer un équipage qui a traversé l’Atlantique à la voile lors de la Transat des Alizés. Les élèves des différents établissements de la commune sont venus l’encourager au départ de la course amateure à Cadix et ont pu découvrir les aventures de Christophe Colomb. Une bonne manière de les intéresser à cette période de l’histoire. Vincent, de retour de son voyage initiatique, premier diplôme en poche en fin d’année scolaire, travaille en tant que peintre. Après quelques années nécessaires à l’acquisition d’expérience, il décide de créer son entreprise. L’investissement de départ est modeste pour ce métier mais le travail ne manque pas. Il peut, quelques temps plus tard, acheter à crédit un premier logement qu’il rénove, puis loue. C’est le début d’une nouvelle aventure réussie. Aujourd’hui Vincent gère un patrimoine immobilier qui ferait rêver beaucoup de monde, en toute discrétion, modestie.

Pour Vincent son maître d’apprentissage a été déterminant. C’était une obligation légale du contrat d’apprentissage de désigner au sein de l’entreprise la personne volontaire et qualifiée professionnellement pour former un apprenti. Aujourd’hui il s’agit de cocher une case sur le formulaire du contrat, sans contrôle des qualifications et de l’expérience professionnelle. La transmission du savoir-faire mais aussi du savoir-être est une des clés de la formation par apprentissage ceci depuis le moyen âge. Un directeur de CFA BTP nous avait dit un jour que nous devions « voler » le savoir-faire des maîtres d’apprentissage car leur expérience était une mime d’or. Aujourd’hui il est possible d’être apprenti jusqu’à 30 ans moins un jour et au-delà s’il y a un projet de création ou de reprise d’entreprise.

Pratiquement tous les artisans vous diront que le geste s’apprend jeune. Certain le compare à l’apprentissage d’un instrument de musique. Ils souhaiteraient former des apprentis dès l’âge de 15 ans. Toutefois il y a une question de coût qui n’est pas évoquée par le chef d ’entreprise. Pour un apprenti de 16 ans les aides sont aussi importantes que pour un apprenti plus âgé, mais le salaire moindre. C’est aussi une crainte de l’artisan qu’un apprenti plus âgé soit plus attentif à ses droits en oubliant tout l’apport du maître d’apprentissage qui lui n’a pas de prix. Un paradoxe qu’il est difficile parfois de surmonter entre coût et peur de ne pas être à la hauteur en termes de management.

Frédéric s’étonne souvent du faible niveau des apprentis qu’il a formé notamment dans son métier de charpentier ou le calcul et la maîtrise des quatre opérations de base est indispensable. Alors qu’il paye des charges qui servent à financer les services publics dont celui de l’éducation, c’est souvent les élèves en échec scolaire et social qui lui sont adressés. A lui d’y palier. Alors qu’il faut des compétences d’un très bon niveau pour réaliser une charpente, bâtir, dépanner une chaudière, un véhicule bourré d’électronique, faire tous les jours du pain en respectant les normes d’hygiène, cuisiner, servir les clients du restaurant le midi, le soir et le week-end, concevoir des bouquets ou couronnes de fleurs. Ces clients, parmi lesquels des enseignants en charge de l’orientation, seront de ceux, exigeants, quant à la qualité du service rendu, regardant quant à la facture à payer.

Apprendre en faisant est une motivation forte, transmise par des hommes et des femmes passionnés par leur métier et qui arrivent à motiver des jeunes adolescents avec ce que cela comporte comme enjeu dans l’évolution de leur personnalité. La meilleure preuve étant le nombre d’apprentis créant ou reprenant une entreprise. C’est un artisan sur deux statistiquement qui est issu de l’apprentissage. Quelle belle voie de réussite !

Malgré des constats quelques fois difficiles à comprendre et à accepter Frédéric ne changerait rien et prendrait les mêmes décisions quant à ses choix de vie professionnelle. Certains collègues ont tout arrêté pour redevenir salarié et se dégager de toutes les contraintes administratives et financières d’un chef d’entreprise. D’autres sont auto entrepreneurs. Au départ ce statut avait été créé pour « légaliser » et limiter le travail au noir. Aujourd’hui c’est un tremplin, ou un auto test avant de changer de statut et développer son entreprise. Mais tous ne souhaitent pas développer outre mesure leur activité et préfèrent travailler seul. Quitte à solliciter un collègue qui viendra quelques heures donner un coup de main qui sera rendu de la même manière en contrepartie. C’est un choix de vie qui permet de décider des durées et moment de travail. Une vraie liberté. Le frein principal évoqué au développement de leur entreprise étant la gestion des ressources humaines, même pour l’accueil d’un stagiaire. C’est l’individualisme poussé très loin. Aujourd’hui un tiers des ressortissants des chambres de métiers sont des auto entrepreneurs. Mais ce chiffre prend en compte tout type d’activité, souvent partielle ou complémentaire à une activité principale.

Les paradoxes sont nombreux mais Frédéric n’a jamais regretté ses choix d’orientation, d’apprentissage d’un métier, de reprise de l’entreprise de son maître d’apprentissage, d’investissement, de formation de ses ouvriers notamment par l’apprentissage afin qu’ils soient en phase avec sa façon de travailler et de vivre. Les difficultés et paradoxes rencontrées lui donnant encore plus de fierté et de mérite à sa réussite. Une grande entreprise industrielle autrichienne dans le secteur du bois installée dans les Landes, n’embauche que des salariés issus de l’apprentissage ou les forme, c’est la condition à tous les niveaux hiérarchiques comme son PDG.

La loi PACTE du 22 mai 2019 (Plan d'Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) qui vise à lever les obstacles à la croissance des entreprises, à toutes les étapes de leur développement : de leur création jusqu’à leur transmission, en passant par leur financement a fortement impacté les chambres de métiers et les entreprises artisanales. En effet le nombre d’apprenti en France tous métiers et diplômes confondu est passé de 499 620 apprentis en 2019 à 1 017 500 en 2023. Soit le double. Pour 620 000 élèves en lycée professionnel en moyenne depuis 10 ans. De même le financement par contrat d’apprentissage, et non plus par des subventions régionales, permet aux chambres de métiers d’avoir des moyens financiers qu’elles n’ont jamais connus. Peut-être est-ce le moment de développer le concept d’université des métiers permettant de former des jeunes de tout âge et de tout niveau scolaire aux métiers de l’artisanat, de développer des diplômes spécifiques au secteur des métiers comme le font déjà les pâtissiers avec le Brevet Technique des Métiers par exemple. Peut-être aussi de développer la proximité des agents de la CMA avec les entreprises, comme un conseiller « clientèle ». Des expériences de ce type existent déjà avec des conseillers par territoire qui connaissent les besoins des entreprises et les actions financées.

Frédéric a été sollicité par un collègue passionné de rugby à participer à une réunion concernant la reconversion des joueurs professionnels de rugby du club de son cœur. Il a été étonné de l’intérêt des chefs d’entreprise à embaucher de tels profils. Mais plus encore par les projets des joueurs en fin de carrière ou non.

Les joueurs de rugby professionnels français, en majorité, doivent suivre une formation scolaire ou professionnelle pour être accepté au sein du centre de formation du club. Ils sont diplômés, puis avec les années, ils leur manquent la pratique du métier dans des entreprises en constante mutation et développement. Certains suivent des formations par correspondance, d’autres envisagent de se former en cours de contrat ou à la fin de leur contrat de joueur professionnel avec des projets de création d’entreprise, d’autres sont embauchés à raison de 8 h par semaine en plus de leur contrat de joueur. Une entreprise ne recrute que d’anciens joueurs de rugby professionnel car leur persévérance, volonté, gestion du stress sont nécessaires à la réussite de leur nouveau métier. Un joueur néo-zélandais suivra la formation de cette entreprise et sera accompagné la première année de son contrat. Deux spécificités ont attiré l’attention de Frédéric, c’est l’accompagnent du club du projet professionnel des compagnes ou compagnons des joueurs, et la désignation d’un coach volontaire et passionné de rugby du même secteur d’activité que le projet du joueur afin de gérer la transition entre les deux périodes de la vie du joueur, un moment important, afin d’éviter une dépression, un trou d’air.

En résumé et en conclusion.

La formation par apprentissage mise en valeur de nos jours, connaît un nombre croissant d’apprentis jamais atteint. Ceci est dû, à mon avis, à la possibilité de se former du CAP au diplôme d’ingénieur, avec un assouplissement important des contrôles administratifs et des financements au contrat par les organisations professionnelles qui ont la responsabilité de la formation pour leur secteur d’activité et leurs entreprises. Pourtant elle reste une voie à promouvoir en permettant à tout jeune de choisir son orientation en connaissance de cause, quel que soit son niveau scolaire et origine sociale, dès la classe de troisième où se décide la première orientation. Les dispositifs existants permettent aujourd’hui de limiter les risques d’une mauvaise orientation, et de permettre au jeune de réussir son entrée dans la vie professionnelle. Les savoirs faire et savoirs être se construisent au contact de personnalités diverses et variés qui œuvrent tant dans le système éducatif que dans celui des entreprises.

Les artisans sont issus à 50 % de la filière apprentissage. Les 50 % restants sont en majorité des personnes ayant des parcours différents, souvent de reconversion professionnelle réussie, tardive mais toujours fruit d’une passion pour un métier et d’un choix de vie ou l’humain est au cœur de la réussite.

A travers l’expérience d’un chef d’entreprise artisanale, fictif, par l’illustration de situations vécues, j’ai essayé de vous faire découvrir le chemin sinueux à emprunter pour réussir une vie professionnelle dans l’artisanat. Il s’agit bien d’un chemin initiatique avec ses épreuves morales et physiques apportant une grande maturité à l’artisan. Les systèmes mis en place dans l’intérêt de tous, financés par nos impôts et ceux des entreprises principalement, qui devraient se compléter, quelque fois s’opposent. L’homéostasie existe pourtant par les efforts et la passion des artisans. Le dynamisme, l’indépendance, la créativité et la réactivité des petites entreprises les rendent aptes à créer de la richesse et de l’emploi. C’est parce qu’ils sont petits qu’ils sont condamnés à être intelligents ! L’intelligence artificielle ne remplacera pas à mon avis l’intelligence de la main. Pour cela l’innovation et l’adaptation constante est au cœur des entreprises artisanales. Les artisans peuvent être fiers de leur réussite, même si leur parcours est semé d’embûches, ce qui les rends encore plus méritants, fait leur charme et particularité dans notre monde économique, dans une société de l’immédiateté. Qui n’a pas été heureux de trouver un bon plombier, mécanicien, maçon, boulanger, boucher, cuisinier … et étonné de reconnaître un adolescent devenu artisan et qualifié pour répondre à un de nos besoins du quotidien.


 




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