Briser l’Illusion Occidentale de la Démocratie
de Finn Andreen, août 2024
En ces temps politiquement turbulents, « l’illusion de la démocratie s’estompe dans le monde entier », a récemment écrit Candica Owens, une influente conservatrice aux USA. En Occident, il y a une impression de plus en plus commune, que la démocratie ne fonctionne pas bien. Mais cette réalité n’est pas encore pleinement et clairement reconnu par la majorité.
Michel Maffesoli, professeur honoraire à la Sorbonne, le dit depuis plusieurs années déjà ; « la fin de l'idéal démocratique se manifeste ». Des signes de cela sont visibles dans les élections problématiques qui ont eu lieu en France et dans d’autres pays occidentaux.
L’« idéal » ou « l’illusion » de la démocratie provient d’idées erronées mais largement répandues, sur ce système politique. Il est, par exemple, commun en Occident pour la majorité de penser que les représentants élus sont généralement loyaux et désintéressés, et que l’électorat est généralement informé et rationnel en matière politique. Cependant, beaucoup d’illustres penseurs politiques du passé étaient déjà sceptiques.
David Hume écrivit dans ses célèbres Essais Moraux et Politiques (1777), que la démocratie ne peut pas être « représentative » parce que toutes les sociétés sont « gouvernées par une minorité ». Le sociologue Robert Michels définit plus tard, dans son ouvrage pionnier sur les partis politiques (1911), ce qu'il appelle la « loi d'airain de l'oligarchie », montrant méthodiquement que toutes les organisations matures, sans exception, deviennent oligarchiques ; c'est-à-dire dirigées par des minorités.
Pour les premiers mouvements démocratiques du XIXe siècle, la démocratie représentative n’était généralement pas perçue comme véritablement démocratique ; le modèle athénien était l'idéal. Comme le nota Robert Michels, ce n’est que lorsque les impossibilités pratiques d’une démocratie directe à grande échelle sont devenues évidentes, que le concept de représentation politique a acquis de la légitimité. Ce n’est donc qu’après un certain temps, que ce concept est devenu synonyme de « démocratie ».
Montesquieu considérait dans L'Esprit des lois (1739), que la principale justification du système représentatif n'est pas seulement qu’un individu moyen n'a ni le temps ni l'intérêt de s'engager dans la vie politique, mais aussi qu'il est incompétent pour le faire. Tocqueville, à son tour, avertit dans La Démocratie en Amérique (1835) que l’une des menaces potentielles pour la démocratie est que la population peut devenir tellement absorbée par la recherche d’opportunités économiques, qu’elle perd tout intérêt pour la politique.
En effet, la majorité n’a ni l’intérêt, ni la motivation nécessaire pour s’impliquer profondément dans les affaires politiques. Les électeurs comprennent implicitement que leur vote n’est qu’une petite goutte dans un océan de bulletins de vote et qu’il ne fera en soi aucune différence dans le résultat de l’élection. Ils n’ont pas non plus le temps ni la capacité de réfléchir rationnellement sur la politique, comme le résuma ici le politologue conservateur James Burnham dans son ouvrage essentiel, Les Machiavelliens (1943) :
« L'incapacité des masses à fonctionner scientifiquement en politique repose principalement sur les facteurs suivants : la taille énorme de la masse rend trop difficile l'utilisation de techniques scientifiques ; l'ignorance, de la part des masses, des méthodes d'administration et de gouvernement ; la nécessité, pour les masses, de consacrer la majeure partie de leur énergie au simple gagne-pain, ce qui ne laisse que peu d'énergie ou de temps pour acquérir davantage de connaissances sur la politique ou pour accomplir des tâches politiques pratiques ; le manque, chez la plupart des gens, d’un degré suffisant de ces qualités psychologiques – ambition, cruauté, etc. – qui sont des conditions préalables à une vie politique active. »
Bien que ces idées sur la représentation politique existent depuis longtemps, elles ont été étouffées afin de maintenir l’illusion du règne de la majorité. La « démocratie » a une connotation si positive aujourd’hui dans le système de valeurs occidental, qu’il est naturellement difficile pour la plupart des gens d’accepter qu’ils ne « gouvernent » pas réellement. Cette réalité est d’autant plus difficile à appréhender que certaines politiques de la minorité dirigeante prennent, car ils le doivent, dans une certaine mesure en prendre en compte l’opinion publique majoritaire. Beaucoup de personnes admettraient néanmoins qu’alors qu'ils ont élu des « représentants », ils n'ont en réalité rien à dire sur, par exemple, la politique étrangère, monétaire et commerciale, même si ces domaines ont un impact considérable sur leur vie.
L'Instabilité Inhérente de Tous Systèmes Politiques
Même si l’illusion de la démocratie s’estompe lentement en Occident, ce n’est pas vraiment dû à une prise de conscience des vérités présentées ci-dessus. C’est plutôt parce que la démocratie représentative, comme tout système politique, est intrinsèquement instable. Il est bien connu que les conditions changent constamment, comme disait Héraclite, mais il est moins souvent compris que les systèmes politiques sont inadaptés à cette réalité fondamentale. Même si la démocratie semble parfois bien fonctionner, les incessants changements économiques, sociaux, démographiques et techniques de la société rendent cette impression éphémère.
Quel que soit le système politique, la relation de pouvoir à tout moment entre l’État et la société, et entre la minorité dirigeante et la majorité gouvernée, est constamment perturbé par ces changements. L’augmentation apparemment inexorable de l’interventionnisme étatique a un impact négatif sur la création de richesses et la propriété privée, forçant la socialisation et conduisant à une montée des tensions politiques. Lorsque l’État devient plus bureaucratique, il ne parvient pas à suivre le rythme d’une société en évolution, ce qui déstabilise cette relation de pouvoir. En outre, des tensions politiques surgissent également si la minorité au pouvoir défend un programme politique qui ignore la volonté de la majorité, voire la contrarie.
La démocratie, en particulier, est soumise à des tensions politiques constantes en raison de son manque inhérent d’équité : les perdants d’une élection (parfois plus que de la moitié de l’électorat, pour le système au scrutin uninominal majoritaire) ne sont pas représentés. Comme l’écrivait le libéral Gustave de Molinari en 1849, en théorie l’exigence de la démocratie est que : « les décisions de la majorité doivent faire loi, et que la minorité est tenue de s'y soumettre, alors même qu'elles blesseraient ses convictions les plus enracinées et ses intérêts les plus chers ». Des phénomènes électoraux comme la loi de Duverger et le paradoxe d'Arrow ont tendance à adoucir la stricte description de Molinari, mais en déformant les résultats des élections, ces phénomènes ne les rendent guère plus représentatifs ou plus équitables.
Lorsque la taille et le pouvoir de l'État sont limités (c'est-à-dire que l'interventionnisme étatique dans la société est faible), le bilan de l'État en tant que défenseur des droits de propriété est naturellement considéré comme plus important que la question de savoir si la majorité est démocratiquement représentée ou non. À l'inverse, lorsque le pouvoir de l'État est fort (c'est-à-dire que l'État est fortement interventionniste comme aujourd’hui en Occident), que ce soit au niveau national ou supranational, la majorité a d’énormes attentes de la démocratie puisque la direction de toute la société dépend – aberrante idée, évidemment - des décisions des élus des branches exécutives et législatives.
Une réduction Nécessaire du Pouvoir de l’État
Il est alors possible de conclure qu’une limitation du pouvoir de l’État est nécessaire pour réduire les tensions politiques dans la société, afin d’introduire une stabilité indispensable à la paix sociale, que le système politique soit ou non considéré comme « démocratique ». Cela nécessite une décentralisation de la prise de décision et une réduction du rôle de l'État, en renforçant le libre marché et les droits individuels. Le résultat serait une société plus libre, capable de s’adapter plus naturellement et plus harmonieusement aux changements. Ainsi, il faut donc « plus de liberté » plutôt que « plus de démocratie ».
Malheureusement, l’illusion de la démocratie a conduit les majorités en Occident à confondre démocratie et liberté. Il s’agit d’une erreur significative, car la démocratie ne garantit pas la liberté, même si une majorité gouvernante était possible. Au contraire ; lorsque des concessions sont faites à la majorité gouvernée, typiquement sous forme d’ « acquis sociaux », elles ont des effets néfastes sur toute la société et réduisent la liberté économique. Comme disait Tocqueville : « J'aime avec passion la liberté, la légalité, le respect des droits, mais non la démocratie ».
Compte tenu la popularité de certaines notions erronées présentées ici sur la représentation politique, il est grand temps de briser complètement l’illusion de la démocratie en Occident et de lui substituer la liberté comme objectif politique le plus élevé à atteindre et à protéger.
Article paru sur Mises Institute.
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