Le Referendum d’initiative citoyenne.
Le Referendum d’initiative citoyenne.
Les droits référendaires : enjeux, usages, coûts.
A l’automne 2018, l’acronyme « RIC » surgit dans les médias français. Déjà croisé dans les années 1970-1990, le référendum d’inspiration citoyenne s’entend cette fois sur les ronds-points qu’occupent les « habitants des territoires », selon l’expression consacrée. Le Référendum d’Initiative Citoyenne reprend une revendication de démocratie directe, déjà formulée par de nombreuses personnalités tout au long du siècle dernier, mais inapplicable au regard du modèle politique français, modèle centralisé à l’extrême, jacobin, étatiste, élitaire, technocratique, qui se méfie du peuple et des mouvements sociaux, générateurs de désordres parfois violents. Le RIC a encore un air de famille avec le RIP, le Référendum d’Initiative Partagée, prévu par l’article 11 de la Constitution, telle que révisée en 2008. Pour mémoire, un référendum peut être désormais organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, par au moins 185 députés et sénateurs, sur un total de 925, et doit être soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Pour le dire de manière triviale, le RIP, dont on a tant parlé, est une « bonne blague ». Dans ces conditions, il y a mieux à faire : s’intéresser aux droits référendaires là où ils signifient quelque chose, où ils ont un poids réel. Après une brève présentation des esquisses de démocratie directe en France, je m’intéresserai à ces droits et à leur usage en Suisse pour enfin, dans une troisième partie, voir comment ils pourraient être adaptés à la France, de la manière la plus consensuelle possible.
Démocratie directe, état des lieux en France
Le RIC exprime une demande de démocratie autre que celle qui consiste, dans nos régimes démocratiques, à envoyer tous les 4 ou 5 ans un représentant dans une assemblée sur laquelle les citoyens n’ont aucune prise. Ces élus du peuple sont, dans notre système, les seuls habilités à écrire la loi, et notamment à voter les impôts. Avec la démocratie directe, le scénario change : les élus cessent d’avoir le monopole de production normative. Il la partage avec les citoyens, leurs mandants. Dans les régimes de démocratie directe (ou semi-directe), les lois sont corédigées par les citoyens, ou peuvent l’être. Si, pour des raisons de commodité, les citoyens s’en remettent à des élus, ces mêmes citoyens disposent du pouvoir légal de surveiller le travail de leurs mandataires, de le corriger si nécessaire, de contrôler l’action du gouvernement et de son administration, tout cela dans le cadre de la loi. Il est important de souligner que l’arme dont disposent les citoyens est une arme pacifique, nommé le vote. Pour ce qui est de la démocratie directe, aucune constitution française ne semble y avoir fait référence, comme si, après les délires meurtriers de 1789 et des années suivantes, le peuple était potentiellement enchaîné aux débordements irrationnels. Seules, vers la fin des années 1980, quelques individualités, comme Yvan Blot notamment, se sont employées à médiatiser la notion de démocratie directe en France. C’est donc à la surprise générale que tout récemment, sur les ronds-points, ont a entendu des Français réclamer le RIC, exiger une « démocratie directe, comme en Suisse ».
Comment expliquer qu’après tant d’années d’omerta, tant de la part des politiques que des intellectuels et universitaires, cette demande de démocratie directe se soit ainsi fait entendre ? Je n’ai pas d’explication au retour de cette revendication, comme si le moment de la démocratie directe était enfin arrivé en France, comme si les vieilles recettes de la démocratie représentative avaient fini par montrer leurs limites dans l’endettement sans fin de notre modèle social, dans le délabrement des services publics, dans la cupidité cynique d’une élite rentière et inefficace, s’abritant derrière l’argument du mérite scolaire pour piétiner le bien commun.
Pourtant, comme si le couvercle de la cocotte ne pouvait plus contenir la vapeur, des expériences microscopiques de démocratie directe ont été menées dans des villes françaises ces dernières années. A l’occasion, les citoyens ont voulu et pu donner leur avis sur les dépenses communales, sur l’affectation des subventions municipales, etc. Parmi d’autres, j’ai choisi trois exemples d’amorces de démocratie communale, librement inspirée par la démocratie directe.
A Saillans, commune de 1300 habitants de la Drôme provençale, l’équipe municipale avait instauré une sorte de démocratie participative, des citoyens se réunissant pour débattre de sujets touchant au bon fonctionnement de la cité. Tout au long de l’expérience, le village a fait l’objet d’une attention médiatique particulière, les équipes de télévision campant carrément à l’année dans l’enceinte communale pour assister à l’émergence d’une démocratie de base, que l’on claironnait comme étant exemplaire. Las. L’équipe qui avait promu cette forme de démocratie participative a été battue aux élections municipales de 2020 et, pour avoir rencontré cet été le nouveau maire de Saillans, il semble que les administrés, dans leur grande majorité, en aient eu rapidement assez de ces groupes de retraités et de militants en quête d’actions qui, au terme d’assemblées réduites, bavardes et parfois interminables, prétendaient faire le bonheur de tous.
Autre expérience, à Angers en 2018. Portés par la ville, une soixantaine de projets, devenus 16 au final, devaient se partager un million d’euros, soit 0,8% du budget de la ville. La participation électorale ne fut pas au rendez-vous puisque, nonobstant une logistique itinérante dans la ville, elle plafonna à 7,5%. Posé autrement, 92,5% des électeurs d’Angers se désintéressèrent du scrutin et de ses enjeux municipaux. Il est vrai qu’ils avaient à choisir entre des ruches urbaines, des pédaliers pour recharger les batteries de téléphones portables, etc.
La dernière expérience en date inspirée de la démocratie directe en France est la Convention citoyenne sur le climat, bâtie sur le tirage au sort et sur une base volontaire, une vaste plaisanterie, comme semblent s’en apercevoir les 150 cocus qui l’ont animée.
Voilà donc trois expériences, sympathiques pour certaines, mais sans envergure ou, comme la montré la Convention citoyenne sur le climat, dépourvues de force contraignante : les 150 propositions sont aujourd’hui sur une étagère à l’Élysée, prêtes à passer au broyeur, si cela n’a pas déjà été fait.
Après ce rapide survol de faits et d’anecdotes se rapportant à la démocratie directe en France, il est temps de passer à des interventions de citoyens qui ne votent pas pour décider où installer une borne interactive permettant de connaître les horaires d’ouverture de la salle des fêtes, mais pour savoir s’il faut ou non dépenser 6 milliards d’euros pour renouveler la flotte aérienne de combat, instaurer un revenu de base universel, supprimer l’armée, ouvrir les magasins le dimanche, encadrer le salaire des patrons dans les grandes entreprises, expulser les criminels étrangers, légaliser le cannabis, repousser l’âge de la retraite, sortir du nucléaire, revenir sur le droit à l’avortement, instaurer un salaire minimum, prolonger une ligne de tram, supprimer le statut des fonctionnaires, etc. Nous sommes en Suisse, pays de 8,6 millions d’habitants. S’y est tenu le tiers des 1700 occurrences de démocratie directe recensées sur la planète. Plutôt que de nous acharner à réinventer des roues carrées, nous pensons qu’il ne serait pas inutile pour les Français de jeter un œil au-delà du Jura.
La démocratie directe en Suisse
Bien mal connue des Français qui ne s’y réfèrent pratiquement jamais sauf, comme l’a fait Emmanuel Macron, pour en dire des âneries (« un pays de 6 millions d’habitants, qui ne marche pas si bien qu’on le dit »1), la Suisse prouve que les citoyens peuvent à la fois disposer d’outils démocratiques dotés d’une très forte puissance, et les utiliser de manière intelligente. Et que ces outils peuvent fonctionner sans être détournés par des lobbys ou des minorités agissantes. Par usage intelligent des droits référendaires, j’entends des droits au service d’une société inclusive, stable et prospère : le PIB par habitant est en Suisse double de la France, la dette sur PIB est de 29%, le taux de chômage en 2019 était inférieur à 3%, un TVA à 7,7%, et le pays dispose de services publics d’excellent qualité, depuis son réseau ferroviaire jusqu’à ses hautes écoles universitaires.
De quels pouvoirs disposent donc les citoyens suisses ? Le système politique helvétique est constitué d’une vaste gamme d’outils qui permettent aux citoyens d’intervenir directement dans la machinerie politique. Dans l’ordre d’apparition et au niveau fédéral, le premier outil référendaire naît en 1848. Depuis, les parlementaires et le gouvernement fédéral doivent impérativement consulter directement les citoyens pour toute retouche constitutionnelle au plan cantonal ou fédéral, pour la ratification de tout accord international, pour tout ce qui touche à l’endettement public, à la modification du taux de TVA, etc. C’est le référendum dit obligatoire. A ce premier outil s’en est rajouté un deuxième, en 1874 : le référendum abrogatif, dit facultatif. Par là, les citoyens acquièrent toute liberté pour, à leur initiative cette fois et par voie de pétition, contester une loi, un impôt ou un règlement voté dans une assemblée communale, dans un parlement cantonal ou à l’Assemblée fédérale à Berne. Le référendum facultatif peut cibler une loi, un décret, une décision fiscale. Il ne peut s’attaquer à un budget dans son ensemble, mais seulement à des dispositions budgétaires particulières. Enfin, en 1891, est instaurée l’initiative populaire au plan fédéral (elle existait déjà dans certains cantons) : ce droit confère aux citoyens le pouvoir d’initier une loi, une fois encore, comme pour le référendum facultatif, par le biais de pétitions. Par exemple, dans le canton de Neuchâtel, 4500 électeurs disposent d’un délai de 6 mois pour récolter les signatures leur permettant de lancer une initiative populaire cantonale. A Genève, canton de 500 000 habitants, 3% des électeurs, soit 15 000 personnes, ont 4 mois pour réunir les signatures sur une initiative, dont le texte, ensuite, sera soumis à l’approbation de l’ensemble du corps électoral cantonal.
Forts de ces droits référendaires, auxquels il faut ajouter le droit de pétition, les Suisses votent sur des questions variées, appelées « objets ». Les objets peuvent être de portée communale, cantonale ou fédérale. Point fondamental : les votes des citoyens suisses ne sont pas consultatifs, mais ont une valeur contraignante. Si ratifiée par une majorité d’électeurs, la chose votée devient loi.
Tous les trois mois, les Suisses votent, autrement baignent dans un climat électoral quasiment permanent, compte-tenu de tout ce qui précède les votations : affichage, meetings, campagnes de presse, etc. Dans la plupart des cas, les électeurs sont appelés à se prononcer, lors de la même votation, non sur un mais sur plusieurs objets. Le 27 septembre 2020, les électeurs du canton de Genève votaient sur 5 objets fédéraux, dont un visant à modérer l’immigration (rejeté), une modification de la loi sur la chasse (accepté), l’achat de nouveaux avions de combat (accepté). Liste à laquelle s’ajoutaient 5 objets cantonaux : l’instauration à Genève d’un salaire minimum (accepté), le rétablissement d’une présidence tournante au sein de l’exécutif genevois (accepté) et un frein à la concurrence fiscale intercantonale. Etaient donc posées, ce 27 septembre 2020, dix questions aux électeurs genevois, questions sans aucun lien direct entre elles, comme on peut le constater.
D’une manière générale, la participation électorale reste élevée (46% en moyenne), avec des pointes parfois au-dessus de 70%, en certaines (et rares) occasions. A noter que la participation reste stable pour les votations, comme quoi le vote fréquent (quasi-chronique quand observé depuis la France) ne suscite pas de lassitude chez les électeurs. A Genève, une statistique montre que 10% des électeurs ne votent jamais, quelque soit l’objet soumis aux électeurs ; 10% des électeurs votent systématiquement et 80% votent en fonction des objets mis au menu, et donc de l’intérêt qu’ils y portent. Stable pour les votations, la participation décline cependant pour les élections. Comme en France et dans l’ensemble de l’Europe, les élections politiques sont frappées de désaffection. Dit autrement, les citoyens restent mobilisés quand il s’agit de se prononcer sur des sujets qui les concernent directement dans leur vie quotidienne, nettement moins quand il s’agit de soutenir ou d’apporter un soutien à un parti politique.
Comment adapter à la France les mécanismes de démocratie directe
Considérant l’état du pays, la France devrait évidemment s’inspirer de ce modèle politique, dont les effets bénéfiques sont mesurables. Elle le devrait d’autant plus que la loi, désormais, le permet. Comment s’y prendre, par où commencer ?
D’abord,
il faut rendre plausible la mise en œuvre d’une initiative populaire ou d’un référendum abrogatif. Les conditions actuelles sont dissuasives : le nombre de signatures à collecter se situe à un niveau démesurément élevé. Depuis 2008 et l’entrée en vigueur du RIP, il n’y a eu qu’une seule proposition de loi référendaire déposée, qui portait sur le caractère de service public national de l’exploitation des aéroports de Paris. Comme il fallait s’y attendre, les 4,6 millions de signatures exigées pour déclencher une consultation nationale n’ont jamais pu être collectées. Dans ces conditions, le RIP ne pourra jamais être seulement déclenché. Dans un premier temps, il conviendrait donc de réduire le quorum de signatures permettant le déclenchement d’une votation sur le modèle helvétique.
Deuxièmement,
il convient d’adapter les quorums de signatures nécessaires au bassin démographique visé. Un référendum de portée communale devrait pouvoir se tenir sous réserve d’avoir réuni 15% des électeurs de la commune concernée ; un référendum de portée nationale, avec 3% des électeurs du pays.
Troisièmement,
il faut installer l’idée d’une grande régularité des scrutins. Par exemple, deux scrutins par an, à des datés prédéterminées. Les sujets sur lesquels les citoyens seraient appelés à se prononcer ne manquent pas. Ils comprendront vite que leur avis sera ainsi régulièrement demandé sur des questions d’ordre économique, social, sanitaire, environnemental, etc. Dans cette perspective, les électeurs doivent savoir que, par exemple, le 20 septembre 2021, suite à de longues délibérations publiques et contradictoires, ils seront, entre autres, appelés à se prononcer sur la médecine de proximité, l’installation ou le démontage d’éoliennes, de nouveaux impôts pour la transition écologique, etc. Avec le concours des associations et des partis politiques, le gouvernement aura charge d’assurer une juste et consistante information sur chacune des questions à trancher. Une information consistante, et non les circulaires électorales d’une scandaleuse indigence, comme celles que reçoivent les électeurs français dans leur boîte aux lettres, la semaine qui précède les élections législatives, une fois tous les cinq ans.
Quatrièmement,
il faut borner avec soin la portée géographique de chaque votation. Il y aura, lors de la même consultation, des votations de portée communale, départementale, nationale. Sur le papier, la chose peut sembler compliquée à organiser, mais sur le papier seulement. La bonne échelle à laquelle les votations devraient être gérées est probablement le département, voire la région, et c’est au niveau communal que devrait démarrer l’expérimentation de démocratie directe : doit-on construire un énième rond-point ou installer un réseau 5G (voire 4G), une citerne à eau inutile ou réduire la taxe d’habitation, augmenter la taxe d’habitation pour construire un terrain de basket, enfouir le réseau électrique ou …
Cinquièmement,
il convient de revoir les modalités de vote. La durée du scrutin, aujourd’hui résumée à une seule journée, de 8h à 19H ou de 8h à 20h selon la taille de l’agglomération, est un archaïsme. Il faut aller vers une diversification des modalités de vote. Les électeurs doivent pouvoir revenir au vote par correspondance, comme on le voit fonctionner aux États-Unis ou en Suisse. Il n’y a pas davantage de détournements de vote par correspondance en Suisse qu’il n’y a eu de détournements de vote par procuration en France où, dans les années 1980, un député du IIIème arrondissement de Paris utilisait des procurations pour faire voter les morts. A Genève, 80% des électeurs votent par correspondance, et exercent leur droit de vote dans le mois qui précède la fermeture des urnes. Les bureaux de vote ouvrent de 10h à 12h le dernier jour du scrutin, et les électeurs se déplaçant physiquement dans l’isoloir sont résiduels.
Sixièmement,
il faut pouvoir, lors d’un même scrutin, proposer une grande variété de questions sur lesquelles les électeurs seront tenus de réfléchir avant de se prononcer. Le vote sur une question unique s’inscrit dans la logique du plébiscite, une formule à proscrire. On sait que, lors d’un référendum-plébiscite, les électeurs ne répondent que rarement à la question qui leur est posée mais votent généralement par la négative, en fonction de leur humeur du moment. L’exemple donné du scrutin genevois du 27 septembre 2020 montre que, lors de cette votation, l’électeur ne pouvait répondre par la négative à toutes les questions, mais était sommé de réfléchir avant de cocher les cases de son bulletin de vote.
Dernier point :
il faut que les choix exprimés par les citoyens aient force impérative. Le gouvernement et l’administration doivent convertir dans la loi la volonté générale exprimée par les électeurs. Dans le cas contraire, l’édifice des droits référendaires s’effondrera rapidement. Si le projet de loi ou la volonté d’abrogation ne sont là que pour être ensuite discutés dans un parlement ou dans une assemblée communale, les initiants et contestataires se mobiliseront une fois pour collecter les signatures, mais jamais deux. Même attitude à attendre de la part des électeurs : ils se déplaceront si leur vote à un poids réel. Si la consultation est une variété coûteuse de sondage d’opinion, ils ne revoteront plus. Le choix politique, autrement dit la volonté des citoyens, doit avoir une valeur contraignante. Telle est la condition essentielle pour que prospèrent les droits référendaires.
Un mot sur le rapport coût/efficacité des droits référendaires.
Initiés par les citoyens, ces droits s’avèrent à la fois un outil efficace pour le renforcement de la démocratie représentative (les élus restent à l’écoute des administrés et conservent ainsi leur crédit), et un précieux agent de son assainissement. Démocratie représentative et démocratie directe s’épaulent, la seconde participant au renforcement de la première. Parce que la loi fait l’objet d’un consensus large lors de son vote, les élus ne redoutent pas d’être déjugés. Et le gouvernement n’a pas à faire usage de la contrainte pour l’imposer. Un tel système rend inutile préfets et sous-préfets. Les autorités, depuis l’élu communal jusqu’au ministre, pourraient compter sur l’appui direct des citoyens, tous acteurs d’une politique forcément plus inclusive, puisque émanant d’eux, et corrigeable si besoin est. Un tel scénario est loin de faire l’unanimité. Le peuple, en effet, ne se manifeste-t-il pas en France de manière toujours violente, comme en témoignent les défilés hebdomadaires, que ne semble pas avoir suspendu l’épidémie de Covid-19 ? L’élite politique française a clairement affirmé son opposition à toute forme réelle de démocratie directe. A l’en croire, seule « l’aristocratie des talents » est capable de diriger un pays, vision de l’organisation politique qui cantonne les citoyens aux bancs de touche. Pourtant, cette élite, qui se revendique comme talentueuse, ne démontre-t-elle pas, quinquennat après septennat, son incompétence à diriger le pays ? L’exemple suisse montre que parce qu’ils confèrent des pouvoirs très étendus aux citoyens, les droits référendaires les poussent à se responsabiliser. Si les citoyens sont capables de se mobiliser pour initier une loi ou pour s’opposer à une décision votée dans une assemblée élue, c’est parce qu’ils s’intéressent à la politique. Et qu’ils ont compris qu’en tant que citoyens, ils étaient partie de la solution. Au final, ils sont responsables des conditions cadre dans lesquelles ils vivent, de la prospérité économique dont ils jouissent, ou bien de la misère dans laquelle ils pataugent. Parce qu’ils sont co-auteurs de la production normative, les citoyens ne peuvent plus s’en prendre à leurs élus, au président de la République, comme c’est le cas aujourd’hui dès qu’un incident survient, mais à eux-mêmes. Il est certain qu’il faudra du temps pour que les Français comprennent que les prérogatives dont ils disposeront avec les droits référendaires les obligent à se responsabiliser, à renoncer à « la culture de la dépense », à cesser de croire au père Noël. Les Suisse n’y croient pas. Les Français sont parfaitement capables de renoncer à leur tour à cette croyance.
Les droits référendaires ont un coût. En extrapolant le dispositif référendaire tel qu’il fonctionne dans le canton de Genève (500 000 habitants), il reviendrait à 35€ par an et par électeur pour mettre en place en France un service de votation sur le modèle genevois. Un service national des votations représenterait une charge annuelle de 1,5 milliard d’euros. C’est là une somme certes. Les pistes pour dégager un tel budget sont nombreuses. Nous en suggérerons une : chaque année sont dépensés 6 milliards d’euros dans la construction de ronds-points, dont deux milliards affectés à leur « décoration ». Nous pensons qu’il s’agit là d’un gisement sur lequel il faut se pencher. Organiser des votations régulières sur des objets clivants éviterait, très certainement, les saccages auxquels nous semblons presque habitués. Placer les Français en capacité d’intervenir pacifiquement et après délibérations dans le fonctionnement de la politique, leur permettrait de revenir sur terre et de devenir, pourquoi pas, presque aussi raisonnables que nos voisins suisses.
François Garçon
Historien
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Président de Démocratie directe pour la France
Vice-président de la Chambre de commerce suisse en France (section Île-de-France)
1 Emmanuel Macron, cité par Isabelle Mayault, « Les Suisses donnent de la voix », M Le magazine du Monde, 16 février 2019.
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