Le poids de l'État
"Le poids de l'État", tel était le sujet de notre premier dîner-débat, qui a eu lieu à Saint-Sever le 8 septembre, au Relais du Pavillon. L'invité d'honneur était Fred Aftalion, cadre dirigeant de l'industrie chimique, et analyste rigoureux de la société contemporaine, comme en témoigne son dernier livre, "La Faillite de l'Économie Administrée" (PUF 1990).
Son exposé illustrait un thème cher à notre grand Frédéric Bastiat : la tendance irrépressible de la puissance publique à se mêler de tout, au détriment de sa mission de base qui est la protection des droits individuels de liberté, de propriété, et de sécurité.
Fred Aftalion rappelle la boulimie de nationalisations depuis 1945, pour des raisons idéologiques ou politiques, au détriment de l'efficacité économique ; les quelques quinze milliards annuels engloutis dans les pays d'Afrique, qui ont surtout servi, contrairement aux bonnes intentions affichées, à maintenir en place des régimes autoritaires et corrompus qui maintiennent leurs peuples dans l'oppression et la misère ; les fantaisies culturelles ou techniques des chefs d'état, comme l'Opéra de la Bastille ou le Concorde, qui reviennent très exactement à faire payer par l'impôt une partie des distractions ou des déplacements des gens les plus riches, pendant que les ouvriers paient 5.5% de taxe lorsqu'ils vont au cinéma et 23% lorsqu'ils achètent une voiture ; le budget social de la nation, qui échappe au contrôle du parlement, bien que ses dépenses atteignent aujourd'hui le niveau du Budget National.
Aussi les prélèvements obligatoires atteignent-ils en France 45% du Produit Intérieur Brut, contre 37% en RFA et au Royaume-Uni, 30% aux U.S.A. et aux Japon. Le secteur public protégé (hors entreprises nationales du secteur concurrentiel) emploie 25% des travailleurs actifs, contre 18% aux U.S.A. et 8% au Japon ! Est-ce au moins une façon de protéger l'emploi ? Bien au contraire : il y a en France 10% de la population active au chômage, contre 7% aux U.S.A. et 3% au Japon !
Les Français ont-ils au moins la satisfaction de constater que cette immense fonction publique est heureuse et les sert convenablement ? Pas le moins du monde : les salariés de l'État ne semblent satisfaits ni de leurs salaires, ni de leurs conditions de travail, et il est bien vrai qu'aucune entreprise privée ne pourrait se permettre de traiter ses meilleurs éléments comme l'État traite les siens. Aussi se livrent-ils à des grèves à répétition en prenant en otage le public impuissant : infirmières, médecins, postiers, cheminots, contrôleurs aériens, personnel navigant, puis au sol, des compagnies aériennes, agents des impôts (6 mois !)... et même magistrats !
Les patrons des monopoles publics sont privés de moyens d'action, n'ayant la maîtrise ni de leurs effectifs (ou si peu !), ni de leurs salaires, ni de leurs tarifs, ni de leurs investissements.
La classe politique elle-même est prise entre deux feux : elle veut se montrer solidaire des agents de la fonction publique dont elle est issue, mais elle sait que tout dérapage catégoriel des salaires risque d'entraîner des dépenses budgétaires incontrôlables.
Nous sommes donc dans un univers à la Kafka :
Aucun progrès de productivité n'est possible dans un monde qui s'est déconnecté du marché du fait de l'existence des monopoles d'état.
Si les indications du marché existaient, encore faudrait-il pouvoir réagir. Or les syndicats tiennent à la grille des salaires, à l'augmentation à l'ancienneté et non au mérite, et au maintien des effectifs.
Les usagers eux-mêmes sont pris dans leur corporatisme et se sentent solidaires des grévistes dont ils font partie à l'occasion.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Il y a d'abord l'attrait d'un emploi stable et sans aléas pour tous ceux qu'effraient le risque et les responsabilités. La création d'un emploi public supplémentaire sera donc approuvé par tous ceux qui le convoitent, et fera donc au moins un heureux : celui qui l'obtient. Il y a l'orgueil national, qui fait accepter les réalisations non rentables comme Concorde ou l'Airbus, si elles servent le prestige national. Il y a l'illusion de la gratuité, comme pour les soins et l'éducation. Mais il y a surtout le manque d'information des citoyens et la quasi impossibilité de contrôle par le parlement, qui ne peut remettre en cause les dépenses courantes, soit 95% du budget.
Peut-on en sortir ? Un espoir réside dans l'Europe : non dans l'Europe bureaucratique de Bruxelles, qui vise à ajouter une strate autoritaire supplémentaire à celle des états, mais l'Europe de la libre circulation des individus, des marchandises et des capitaux, qui introduit une concurrence entre les états sur la monnaie, les réglementations, et les impôts, pour le plus grand bénéfice des consommateurs. C'est cette Europe-là qu'il faut soutenir.
Mais nous avons aussi notre rôle à jouer, en élisant aux fonctions publiques des candidats qui s'engagent à réduire les dépenses publiques, où tout au moins à les contenir en les contrôlant, plutôt que des candidats qui promettent monts et merveilles sans en chiffrer le coût. Comme disait si bien Frédéric Bastiat dans sa profession de foi "aux électeurs de l'arrondissement de Saint-Sever" :
"Le pouvoir, vaste corps organisé et vivant, tend naturellement à s'agrandir. Il se trouve à l'étroit dans sa mission de surveillance. Or il n'y a pas pour lui d'agrandissements possibles en dehors d'empiétements successifs sur le domaine des facultés individuelles. Extension du pouvoir, cela signifie usurpation de quelque mode d'activité privée, transgression de la limite que je posais tout à l'heure entre ce qui est et ce qui n'est pas son attribution essentielle. Le pouvoir sort de sa mission quand, par exemple, il impose une forme de culte à nos consciences, une méthode d'enseignement à notre esprit, une direction à notre travail ou à nos capitaux, une impulsion envahissante à nos relations internationales, etc.
"Et veuillez remarquer, messieurs, que le pouvoir devient coûteux à mesure qu'il devient oppressif. Car il n'y a pas d'usurpations qu'il puisse réaliser autrement que par des agents salariés. Chacun de ces envahissements implique donc la création d'une administration nouvelle, l'établissement d'un nouvel impôt ; en sorte qu'il y a entre nos libertés et nos bourses une inévitable communauté de destinées.
"Donc, si le public comprend et veut défendre ses vrais intérêts, il arrêtera la puissance publique dès qu'elle essayera de sortir de sa sphère ; et il a pour cela un moyen infaillible, c'est de lui refuser les fonds à l'aide desquels elle pourrait réaliser ses usurpations...
..."Si donc vous me demandiez : que feriez vous comme député ? je répondrais : eh ! mon Dieu, ce que vous feriez vous-mêmes en tant que contribuables et administrés.
"Je dirais au pouvoir : manquez vous de force pour maintenir l'ordre au dedans et l'indépendance au dehors ? Voilà de l'argent et des hommes, car c'est au public et non au pouvoir que l'ordre et l'indépendance profitent.
"Mais prétendez vous nous imposer un symbole religieux, une théorie philosophique, un système d'enseignement, une méthode agricole, un courant commercial, une conquête militaire ? Point d'argent ni d'agent : car ici, il nous faudrait payer non pour être servi mais asservi, non pour conserver notre liberté, mais pour la perdre."
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