Des dividendes qui ont un coût
Une saignée sournoise
La réduction continue de l’effort de Défense depuis plus de 30 ans, illustrée par l’expression « tirer les dividendes de la paix » chère à monsieur Fabius et poursuivie inexorablement jusqu’en 2015, a conduit à un affaiblissement continu et excessif des
armées françaises. Celles-ci sont aujourd’hui condamnées à faire appel à certains pays pour compléter les capacités indispensables à la conduite des opérations dans lesquelles elles sont engagées.
En raison du silence imposé aux chefs militaires pendant des décennies, au prix d’ailleurs de la démission de plusieurs d’entre eux, et en l’absence d’une puissante association de soutien à l’armée, les Français n’ont pas su, ni pu, ni parfois voulu, mesurer les conséquences qu’aurait à long terme un tel choix politique qui bafouait l’exigence formulée par le fondateur de la Ve République : «
la Défense est le premier devoir de l’État … ».
Le plus invraisemblable est que les milliards de francs puis d’euros prélevés silencieusement et régulièrement sur le budget de la Défense n’ont pas servi à contenir la dette ou à réduire les déficits budgétaires. Ces sommes considérables ont permis aux gouvernants, toutes tendances confondues, de tenter vainement d’acheter la paix sociale…
Une armée diminuée et amputée
Les armées, jamais soutenues autrement que par les paroles lénifiantes de discours convenus prononcés lors des cérémonies officielles, n’ont donc pas disposé des ressources financières suffisantes pour garantir l’autonomie stratégique proclamée, porter les ambitions politiques affichées et conduire les missions de guerre qu’elles ont dû mener avec les seuls moyens nationaux.
Elles ont dû abandonner des capacités opérationnelles et retarder le renouvellement de certains matériels et équipements qui leur font défaut aujourd’hui. Le soutien d’alliés, dont les intérêts ne convergent pas toujours avec les nôtres, a inévitablement un prix masqué, non médiatisé, mais considérable à payer : celui de la souveraineté limitée.
Lors de la présentation de la précédente LPM 2014-2019, le ministre de la Défense d’alors affirmait qu’en 2019, à l’issue de cette loi, les armées pourraient faire l’opération « Serval en national ».
Est-ce si sûr alors que la situation internationale s’est tendue, que les relations avec nos partenaires d’alors ont changé et que nous n’avons pas comblé au cours des dernières années de la précédente loi de programmation, l’ensemble de nos lacunes capacitaires ?
Quel est le prix de la dépendance ?
Si nous avons acquis auprès des États-Unis des drones Reaper d’observation et de renseignement incontournables pour conduire nos opérations au Sahel compte tenu de nos faibles effectifs au sol (moins de 4 000 hommes) pour contrôler un si vaste territoire (10 fois la France), nous ne pouvons cependant les mettre en œuvre qu’avec le soutien américain pour la formation des équipages. En outre, ces moyens s’avèrent insuffisants au point que nos « grands alliés » nous approvisionnent largement en renseignements.
Nos Rafale et Mirage déployés au Tchad, qui interviennent sur l’ensemble de la bande sahélo-saharienne, dépendent largement des ravitailleurs américains, tant les nôtres (C 135) sont anciens (plus de 50 ans d’âge), limités en nombre et souvent indisponibles. Il est certes prévu réceptionner les MRTT Phenix au cours de la prochaine LPM 2019-2025, mais en attendant il nous faut accepter cette dépendance qui est identique dans l’opération Chammal.
Enfin, après le bombardement de certains sites chimiques en Syrie, la Russie pourrait nous refuser la location de ses avions très gros porteurs AN 124. Mais alors qui peut, en dehors des États-Unis, proposer à la France une alternative aux avions russes ? En effet, la douzaine d’A 400 M livrés à ce jour a une faible disponibilité qui constitue une préoccupation du chef d’état-major de l’armée de l’Air, et ce nouvel appareil n’a pas encore atteint sa pleine maturité opérationnelle. Enfin, ses capacités de transport (25 t sur 4 500 km), sont certes le double de celles du Transall, mais elles n’en font pas pour autant un avion très gros porteur de la classe des AN 124 russes ou ukrainiens (120 t sur 4 800 km) ou C5 Galaxy américains (plus de 100 t sur 5 500 km).
Les Britanniques, souvent décriés, nous ont déjà fourni un appui logistique : des ravitailleurs MRTT et des C17 d’origine américaine (75 t sur 4 500 km) dont ils disposent en plusieurs exemplaires depuis des années. Ils déploient aujourd’hui des hélicoptères de transport lourd dont nos armées ne disposent pas !
Une souveraineté à retrouver
Dans ces conditions, comment imaginer que notre pays, qui n’a pas les capacités militaires nationales suffisantes pour assurer les missions dans lesquelles les gouvernements successifs l’ont engagé, ne doive pas donner des contreparties à ce soutien extérieur ?
Cette dépendance a été illustrée récemment par le refus des États-Unis d’accorder à la France le droit d’exporter à l’Égypte les missiles air-sol Scalp au prétexte qu’ils comprenaient des microprocesseurs fabriqués par l’industrie américaine, retardant ainsi l’exportation d’une douzaine de Rafale.
Alors que le projet de LPM 2019-2025 prévoit de remonter l’effort de Défense de 1,5% en 2017 à 2% du PIB (hors pensions) en 2025, il est indispensable que les engagements budgétaires pris soient respectés, tant pour l’année de transition 2018 que pour les 7 années de la LPM. Ils devraient même être accrus s’il apparaissait que le coût de la modernisation de la force nucléaire de dissuasion ralentisse la remise à niveau des forces conventionnelles dont l’engagement opérationnel n’est pas près de faiblir au vu de l’évolution des menaces rappelées dans la dernière revue stratégique.
L’ASAF continuera à alerter les parlementaires et à dénoncer à l’opinion publique, autant que nécessaire, les éventuelles dérives et les mesures qui ne permettraient pas aux armées de disposer des moyens assurant à la France l’intégralité de son autonomie stratégique.
La RÉDACTION de l’ASAF
(www.asafrance.fr)
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